« On nous a obligées à nous lisser, non pas avec des fusils, non pas avec des armes ou avec la violence physique, mais avec la violence psychologique ».
Des surnoms tels que « tête de serpillière », « éponge », entre autres, font partie d’une série de commentaires qui rabaissent les personnes aux cheveux frisés. On entend aussi d’autres pressions telles que « tu serais plus belle en étant lissée ». La représentation négative, telle que sale ou mal coiffée, sont des images utilisées comme stéréotypes de la discrimination, et sont présentes à l’école, au travail ou dans d’autres domaines de la vie quotidienne.
Il existe sur le marché plusieurs crèmes de différentes marques pour les lisser mais le problème de ce procédé, qui semble être une décision individuelle et de beauté, est qu’il cache une discrimination envers les personnes ayant ce type de coiffure. C’est pourquoi les filles préfèrent porter leurs cheveux attachés dès leur plus jeune âge, car les laisser tombants peut être sujet à moquerie. Dans le cas des garçons, les cheveux longs ou tressés ne sont pas appropriés, selon les stéréotypes masculins. Cette coiffure est surtout portée par les personnes d’origine africaine et elle est associée à une race/ethnie. Ainsi, à partir du domaine de l’ethnicité, son agencement et ses formes, elle présentera des pratiques qui sont culturelles. Mabel Parra Serna explique que les femmes aux cheveux crépus se voient attribuer divers surnoms en Colombie, tels que « petit cheveu de rate, cheveu moche, cheveu malsain, tignasse et bien d’autres encore ». Elle exprime avoir dû lutter contre cela à l’école ou dans le quartier; ajoutant que, dans son enfance elle n’était pas préparée à résister à ce problème, mais qu’elle croyait à ces stéréotypes. Ainsi, dès son plus jeune âge, elle a été soumise à des traitements pour rendre ses cheveux « plus faciles à coiffer ».
Cheveux afro / Photo: Mabel Parra
Toute cette discrimination est basée sur l’évidence que les cheveux lisses sont bons et beaux. C’est une difficulté, nous dit Mabel, car ils perdent leur identité et leur estime de soi. Ce genre de commentaires l’a amenée à le nier et à détester qu’il en soit ainsi. Cette pression extérieure l’a obligée à porter du canecalon, de la laine, des cheveux synthétiques pour cacher sa coiffure afro, dans son aspiration à être acceptée.
Son point de vue a changé, et elle pense désormais que « ce genre de commentaires désobligeants devrait les amener à l’aimer davantage, à en prendre plus grand soin et à l’accepter mieux ». Mabel pense que si les femmes veulent avoir recours à des extensions, des défrisages ou d’autres traitements, elles devraient pouvoir le faire, mais pas parce qu’elles se sentent mal ou à cause de pressions sociales. Elle estime que le fait de lisser les cheveux et les autres options qui se présentent ne devraient pas être la seule façon de se présenter. Elles devraient également avoir la possibilité de porter les cheveux naturels, sans craindre d’être discriminées. L’histoire de Mabel est celle de beaucoup d’autres personnes qui luttent contre ce problème. Il ne devrait pas en être ainsi. Cependant, ce problème qui semble être concentré sur les cheveux cache des racines bien plus profondes.
Karla Viteri, de son expérience en Équateur, explique que « le fait d’avoir des cheveux naturels a été une lutte constante et maintenant elle est politique ». Pour les femmes d’origine africaine, il a été très difficile d’accepter leurs cheveux en raison de cette représentation de la beauté associée à une chevelure lisse, au teint blanc, entre autres stéréotypes.
Pour les personnes avec cette chevelure, il est impossible de sortir du lit et d’aller quelque part sans la mouiller ou la peigner. Karla dit qu’elle « a besoin de plus de soins » et qu’une façon culturelle de la porter, ce sont les dreadlocks, qui sont séculaires et signifient « un vœu avec dieu, c’est un pacte avec lui. C’est comme un cadenas que tu fais avec ton cheveu ». En tant que tel, il y a une signification culturelle et se rapporte à l’histoire des Afro-descendants. D’autres façons courantes de les porter et qui sont associées à des traditions, sont les turbans, ainsi que les tresses.
Cette souillure, ce manque de contrôle, n’est pas seulement associé à leurs cheveux, mais aussi à leurs corps racialisés. Cette relation avec la laideur de la représentation a entraîné un problème plus large de non-apparition des Afro-descendants à la télévision ou dans d’autres espaces ; ceci qui implique un manque d’images positives leur permettant de construire une identification différente par rapport aux afro-descendants. Cela signifie que la discrimination par les cheveux cache un racisme envers les nègres. De telle sorte qu’il se produit une altérité de la négritude, qui inclut l’ensemble du corps.
Consciente de cette discrimination, de cette invisibilisation et de ce manque de représentation dans les médias, les magazines de beauté et autres espaces, Karla a décidé de créer Addis Abeba avec sept autres personnes. C’est ainsi qu’elles ont lancé un projet politique et culturel qui vise à affirmer que le noir est beau. Cette pensée est construite, dit-elle en tant que directrice, à partir de la libération et de l’amour de soi. Ce qui l’intéresse, c’est de trouver ce lien avec l’Afrique, pour que les gens se souviennent que c’était leur endroit. En outre, son projet vise à changer les stéréotypes négatifs. Elle estime que « toutes les caractéristiques qui concernent les Noirs sont considérées comme laides ». Ce sont leurs cheveux, leur grande bouche, leur nez large. Comme il y a cette référence aux femmes blanches par rapport aux femmes noires, il est établi que leurs traits sont laids. Par conséquent, les cheveux sont associés aux coiffures sales, scandaleuses, non peignées ».
Les dommages subis par leurs cheveux dès leur plus jeune âge font partie de ce racisme qu’elles ont subi, non seulement elles-mêmes, mais aussi leurs ascendants, qui cherchent à les protéger. C’est pourquoi Karla affirme que « décider de ne pas lisser ses cheveux et de les laisser tels quels est un processus qui a coûté aux femmes parce qu’elles ont été un symbole de moquerie et de stéréotypes raciaux ». De cette façon, avoir des cheveux naturels est une lutte politique contre la discrimination qui perdure.
Pour Roxana Jaramillo, avoir des cheveux bouclés a été synonyme de honte constante. « On nous a forcés à lisser nos cheveux, pas avec des fusils, pas avec des armes ou de la violence physique, mais avec de la violence psychologique ». Elle se souvient qu’on l’a constamment poussée à se lisser ou à se couper les cheveux. « Jusqu’à l’âge de quinze ans, je pensais que je ne plairais à personne parce que j’avais des cheveux ainsi. J’ai commencé à les lisser avec un fer plat, sans traitement ». Sa perspective a changé quand elle a eu 20 ans. Elle explique que lorsqu’elle les porte détachés pour les cours à l’université, elle entend toujours des commentaires disant qu’elle n’est pas coiffée.
« Toutes les personnes ayant des cheveux afro ont souffert d’une forme de discrimination », déclare Thamia Jaramillo. Elle se souvient que lorsqu’elle était petite, ses camarades de classe avaient l’habitude de lui adresser des sobriquets. Elle a ressenti très fortement cette discrimination, on lui disait que ses cheveux étaient moches. Elle a décidé de les garder frisés car elle estime que cela représente qui elle est.
Pour Roxana et Thamia, cette discrimination a un fond et c’est la peur des blancs envers les noirs. Ils affirment que « le cheveu afro est une forme de rébellion, un langage sous de nombreux aspects. De même que les foulards et les tresses ont une histoire », un langage sous de nombreux aspects.
Elles se souviennent que quand elles allaient à l’école, leurs mères leur faisaient des tresses. Savoir les faire fut un apprentissage qui s’est transmis oralement jusqu’à aujourd’hui. Leur grand-mère les faisait à leur mère. Chaque fois qu’elle s’en souvient, elle raconte à ses filles qu’elle aimait les faire retomber sur son visage car elle n’avait pas assez de cheveux pour les faire coller à son front, alors elle y mettait de la laine. Ce savoir s’est transmis de génération en génération.
Sans aucun doute, les tresses ont une grande importance pour les personnes qui sont attachées aux traditions. A l’époque de l’esclavage, les chemins des clôtures en bois étaient tracés. À cette époque, explique Roxana, « les femmes asservies étaient obligées de se raser les cheveux. Elles ont commencé à tresser leurs cheveux en guise de rébellion. Une façon de couvrir leurs cheveux était de porter des foulards ».
En tant que membres du collectif d’Addis-Abeba, elles estiment que le problème de la discrimination s’étend également à d’autres domaines. Pour elles « il y a peu de références aux personnes d’origine africaine. Par rapport au passé, on en voit davantage à la télévision ». Toutefois, le racisme n’a pas diminué pour autant.
Le racisme et la façon dont il a marqué leur vie varie également ; le genre transforme les manières dont il est exercé. Julián Arce affirme ne pas se souvenir de discrimination dans son enfance à cause de ses cheveux. Lorsqu’il entend des blagues comme « éponge » ou autres, « j’arrête ces gens tout de suite ». En tant qu’homme, il a eu des problèmes avec les cheveux longs. Maintenant, il pense que cela a diminué, il voit plus d’hommes avec des cheveux longs ou des tresses dans la rue. Aujourd’hui, il porte des dreadlocks. Il dit avoir appris tout cela dans des collectifs et aussi dans sa famille. L’utilisation des dreads, comme il les appelle, lui permet de porter ses cheveux plus propres et mieux entretenus. Il estime également que le fait de se tresser les cheveux lui permet de créer une relation familiale plus intime, car il lui faut deux à quatre heures pour se tresser les cheveux, selon le type de tresse, qu’elle soit lâche ou non. A cette démarche participent les femmes de sa famille, qui possèdent ce savoir appris comme un héritage historique. Sa tante est celle qui fait ses tresses. Au fil du temps, il a également appris à les faire.
Erick Gudiño se souvient que lorsqu’il était petit, sa mère lui tressait les cheveux il les a portés ainsi jusqu’à la quatrième année d’école primaire. Quand il est allé au collège, on lui a interdit d’avoir les cheveux longs. Comme les femmes, il a été soumis à des traitements chimiques pour les défriser. Quand il était en CM2, à l’école, c’était la première fois qu’il le faisait. Ses proches lui ont également recommandé de couper ou de lisser ses cheveux, car ils pensent qu’ils sont plus difficiles à coiffer. À l’université, il a été interpellé alors qu’il allait faire son stage parce qu’il avait des tresses, bien qu’il ait expliqué que cela faisait partie de sa culture, on lui a dit qu’il ne pouvait pas porter ses cheveux de cette façon. Erick commente que « porter des tresses est associé au fait qu’une personne ne peut pas être sérieuse, on pense qu’elle aura peut-être l’air d’être le membre d’un gang, un immature, ou quelqu’un qui veut être à la mode, il n’y a pas de lien avec les ancêtres ».
Le changement de regard porté sur leur corps s’inscrit dans une démarche d’auto-reconnaissance et de résistance à ces stéréotypes. Pour cela, il a été nécessaire de connaître et d’apprendre leur passé. En outre, il a fallu s’organiser collectivement pour répondre au racisme latent qu’ils subissent, avec l’intention de le transformer.
Traduction de l’espagnol : Ginette Baudelet.