Il y a 100 ans, le 23 juillet 1921, dans une petite maison de Shanghai se réunissaient secrètement 13 hommes pour le premier congrès d’une nouvelle organisation, forte de 57 adhérents, le parti communiste chinois (PCC). Un siècle plus tard, devenu un parti-état, le PCC avec ses plus de 90 millions de membres dirige d’une main de fer la République Populaire de Chine (RPC), et dispute le leadership mondial aux États-Unis. Comment en est-on arrivé là ?
Parvenu au pouvoir en 1949 au terme d’une longue et sanglante guerre civile, sous l’impulsion de Mao Ze Dong, le PCC transforme la Chine en suivant le modèle soviétique avant de se lancer dans une utopique politique de rattrapage accélérée des grandes puissances industrielles au tournant des années 60. Le bilan humain est catastrophique. A partir de 1978, sous la direction de Deng Xiaoping, il invente un modèle de développement économique capitaliste sous le contrôle de l’état qui arrache plusieurs centaines de millions de Chinois de la pauvreté et propulse le pays en quatre décennies à la deuxième place de l’économie mondiale. Le tout sans abandonner le rôle dirigeant du parti.
Pressenza revient sur cette histoire tumultueuse qui a changé la face de l’état le plus peuplé du monde. Nous avons interrogé le professeur Alain Roux, sinologue, historien, professeur émérite à l’Institut des Langues et Civilisations Orientales et à l’Université de Paris VIII et auteur de deux biographies de référence en français « Le singe et tigre : Mao, un destin chinois » (Larousse-2009) et « Chiang Kaï-chek : le grand rival de Mao » (Payot-2016).
1ème partie : 1921-1949 : la conquête du pouvoir
2ème partie : 1949-1976, la République Populaire de Chine sous Mao
3ème partie : 1976-2012. La réforme et le socialisme de marché
4ème partie : Xi Jinping ou le « rêve chinois » depuis 2012
Nous abordons dans cette première partie les origines du Parti Communiste Chinois et sa conquête du pouvoir.
1° : Les origines du PCC 1919-1927.
Pressenza : Quelles sont les origines du Parti Communiste Chinois ?
Alain Roux : Le mouvement du 4 mai 1919 a montré l’aspiration de la société urbaine à la modernisation du pays et au recouvrement du statut de grande puissance perdu par la Chine depuis les « guerres de l’opium » et l’humiliation des « traités inégaux » imposés par les puissances impérialistes1. Les intellectuels de la « nouvelle culture » et la revue de Chen Duxiu La Jeunesse font campagne contre le confucianisme et la tradition et prônent les valeurs progressistes de l’occident, la Démocratie et la Science.
La révolution d’octobre 1917 en Russie attira l’attention sur le marxisme, doctrine apparue en occident mais critique envers l’impérialisme agressif de ce même occident dont la Chine avait été victime, d’autant plus que la jeune URSS avait renoncé en 1919 aux avantages obtenus par la Russie tsariste dans le cadre des « traités inégaux ». C’est dans ce contexte que naquit le 5 août 1921 sous la houlette de l’Internationale Communiste le PCC : ce groupuscule ne comptait alors que 53 adhérents – des instituteurs et des étudiants, aucun paysan, aucun ouvrier –, mais il était dirigé par deux intellectuels prestigieux, Chen Duxiu et Li Dazhao, et organisa rapidement les premiers syndicats ouvriers. Le puissant mouvement anti-impérialiste du 30 mai 1925 qui mobilisa la société urbaine contre les traités inégaux et les impérialismes occidentaux au moyen de grèves ouvrières et estudiantines, de manifestations de rue et du départ pour Canton du prolétariat chinois de Hong Kong créa une situation politique radicalement nouvelle. Le PCC dirigeait maintenant un mouvement ouvrier révolutionnaire qui avait montré sa puissance et avait reçu le soutien d’un gouvernement sécessionniste fondé à Canton par Sun Yat-sen, qui présidait le parti nationaliste Guomindang (GMD).
En janvier 1924 le PCC avait été absorbé par le GMD : ses membres avaient adhéré au GMD qui « tolérait » l’existence du PCC dont ils restaient adhérents. Le succès de l’expédition militaire dirigée par Chiang Kaï-shek pour réunifier la Chine s’était accompagné d’un développement rapide du mouvement ouvrier en Chine centrale et de l’apparition d’un mouvement paysan exigeant une réforme agraire. La transformation d’une révolution nationale en une révolution sociale était insupportable aux officiers issus de familles de possédants menacés d’expropriation tandis que la jeune bourgeoisie chinoise refusait de céder devant la pression revendicative des syndicats révolutionnaires. Chiang Kaï-shek noua une alliance avec le monde des affaires qui finança son coup de force le 12 avril 1927 à Shanghai. Une terreur blanche sanglante de plusieurs mois élimina, dans toute la Chine réunifiée sous le GMD, les communistes, les syndicalistes révolutionnaires et les progressistes.
2° : Les soviets du Jiangxi 1927-1934.
Quel est le destin de la première république soviétique chinoise dite « du Jianxi » ?
A.R . En août 1927, un des dirigeants du PCC tira deux leçons de cette lourde défaite de la révolution chinoise: 1° En Chine le pouvoir sortait de la bouche des fusils. 2° Ce n’était pas sur la classe ouvrière, peu nombreuse et contrôlée par les sociétés secrètes, mais sur la paysannerie et les déclassés que le Parti communiste pourrait s’appuyer pour mener à la victoire une longue guerre civile. La révolution sera armée et paysanne où elle ne sera pas.
La République soviétique Chinoise fondée le 7 novembre 1931 au sud Jiangxi était formée d’une dizaine de territoires dispersés en Chine du sud, d’une superficie totale égale à celle de la Suisse, peuplés de 3 à 4 millions d’habitants et défendus contre les attaques des armées nationalistes par une armée rouge d’environ 180.000 nommes.
Cet État rouge était une sorte de camp retranché, le Parti se confondait avec ses forces armées. En décembre 1930, une crise politique interne qui était survenue dans la bourgade de Futian avait abouti à une purge sanglante en sein de l’armée rouge conduite par Mao Zedong et les principaux généraux. Le PCC avait déjà perdu son innocence des premières années.
3° : De la Longue Marche à la campagne de rectification à Yan’an : 1934-1942.
Comment Mao prend-il le contrôle du Parti ?
A.R. Mao devient un des principaux dirigeants du PCC grâce à sa maîtrise de l’art de la guérilla qui permit à l’armée rouge de résister à quatre campagnes d’anéantissement entre 1928 et 1932. Paradoxalement ce fut sa mise à l’écart par Zhou Enlai et les dirigeants « staliniens » du PCC à l’automne 1932 qui firent de lui un recours quand il devint impossible de défendre plus longtemps la zone soviétique et qu’il fallut se résoudre à la fuite en octobre 1934 et entreprendre la Longue Marche. En janvier 1935, à Zunyi, Mao devint le numéro un du PCC confondu avec son armée.
À la fin de la Longue Marche le PCC, chassé aux confins du monde chinois, semble voué à la disparition. Il survit grâce à l’aide de Staline, qui, par réalisme, reconnaît l’autorité de Mao et grâce à sa politique d’alliance avec le GMD face à l’agression japonaise à partir de l’été 1937. Mao profite de la fin de la guerre civile2 pour lancer en 1942 une campagne de « rectification du style de travail du parti » (zheng feng) pour devenir le dirigeant dont le génie a permis « d’adapter le marxisme aux réalités chinoises ». Devenu un maître à penser la révolution, au même titre que Marx, Engels, Lénine et Staline, il est un dirigeant placé au dessus de tous les autres qui est l’objet d’un culte. La « pensée-maozedong », introduite dans les statuts du PCC par le 7° Congrès au printemps 1945, unifie le parti en adoptant une résolution qui réduit son histoire à celle de l’ascension de Mao, tandis que la police politique de Kang Sheng recourt à la terreur pour empêcher toute critique. Le Parti contrôle l’armée, la société, et la vie culturelle, où toute la production artistique se réduit à de la propagande.
4° : De la victoire de Mao à la proclamation de la République Populaire de Chine (1942-1949).
Comment expliquer la victoire finale des communistes sur les nationalistes ?
A.R. 90% de l’effort de guerre face au Japon repose sur l’armée nationaliste, car Chiang Kaï-shek tient les villes, les zones industrielles, les greniers à céréales et les axes de communication, qui sont les lieux stratégiques. L’armée nationaliste subit une grave défaite durant l’été 1944 lors de l’offensive Ichi-Go. Elle finit la guerre épuisée et démoralisée. L’armée rouge limite son effort à repousser les incursions japonaises et occupe les territoires évacuées par les armées nationalistes où le PCC pratique une réforme agraire modérée. En 1945, les communistes contrôlent 950.000 km2, où vivent 96 millions de paysans. Le PCC compte 1.200.000 adhérents et l’armée rouge dispose de 910.000 soldats, appuyés par 2.300.00 miliciens.
Assuré de l’aide américaine alors que commence la guerre froide, Chiang Kaï-shek croit possible d’éliminer les communistes. Après quelques succès initiaux, il perd la bataille de Mandchourie durant l’été 1948 puis celle de la plaine centrale durant l’hiver. Pendant ce temps, le GMD s’effondre. Une inflation galopante et le spectacle affligeant d’une corruption généralisée font que la population urbaine abandonne son soutien au GMD et se rallie par défaut aux communistes qui apportent le retour à la paix après trois décennies de guerres civile et étrangère3. Le programme commun de reconstruction du pays adopté par les nouvelles institutions à l’automne 1949 semble reprendre le processus interrompu d’une révolution démocratique bourgeoise avec, dès 1950, une réforme agraire et une loi sur le mariage qui détruisent les bases de la société patriarcale. Tandis que l’entrée de la Chine dans le camp socialise dirigé par l’URSS lui permet de mettre fin à un siècle d’humiliations.
1- Depuis les années 1840 les ingérences étrangères, profitant de la crise multiforme dans lequel se trouvait l’empire chinois ont affaibli la souveraineté du pays et transformé celui-ci en semi-colonie. En 1911 une révolution a renversé le dernier empereur et proclamé la république. Mais la Chine n’arrive pas à trouver la stabilité et est en proie à la guerre civile. Un parti nationaliste, le Guomindang, dirigé par Sun Yat-sen puis par Chiang Kaï-shek, tente d’imposer son autorité à l’ensemble du pays.
2- La lutte entre communistes et nationalistes est suspendue face à l’envahisseur japonais jusqu’à la capitulation de ce dernier en septembre 1945.
3- Tandis que Chiang Kaï-shek se réfugie avec son gouvernement dans l’île de Taïwan, Mao proclame le 1er octobre 1949 à Pékin la République Populaire de Chine.