Par Sharon Dolev, Emad Kiyaei, and Tony Robinson | Middle East Treaty Organization (METO)
La Conférence sur la création d’une zone sans armes de destruction massive au Moyen-Orient (la Conférence de novembre) a tenu sa deuxième réunion au siège de l’ONU du 29 novembre au 3 décembre 2021. Cette conférence annuelle se tiendra jusqu’à ce qu’un traité juridiquement contraignant établissant une Zone Exempte d’Armes Nucléaires et d’autres Armes de Destruction Massive au Moyen-Orient (ME WMDFZ : Middle East Weapons of Mass Destruction Free Zone ou la Zone) ait été négocié sur la base d’arrangements librement conclus par les Etats de la région. Malgré l’absence d’Israël et des Etats-Unis à la conférence antérieure en 2019, la réunion de cette année pourrait conduire à des progrès significatifs vers une ME WMDFZ, compte tenu des changements récents de la situation sécuritaire au Moyen-Orient.
Parmi ces changements, citons les accords d’Abraham qui officialisent les relations entre Israël et quatre autres pays de la zone proposée, la nouvelle coalition gouvernementale en Israël, l’évolution de la politique américaine à l’égard de l’accord sur le nucléaire iranien, le rapprochement entre Téhéran et Riyad et les progrès des pourparlers de paix en Libye. Ces événements ont amélioré les perspectives de dialogue entre les acteurs clés de la région.
Un bref historique
Il faut remonter aux années 1970 pour retrouver le premier appel à une zone sans armes nucléaires (Nuclear weapon free zone : NWFZ) au Moyen-Orient. En 1995, les Etats ayant signés le Traité de Non-Prolifération (TNP) ont adopté une résolution sur le Moyen-Orient qui liait la prolongation indéfinie du TNP aux “plus grands efforts” pour l’établissement d’une zone exempte d’armes de destruction massive (ME WMDFZ) “effectivement vérifiable”. Cependant, malgré la résolution de 1995 qui plaçait le TNP comme une priorité absolue, peu de progrès ont été accomplis jusqu’à aujourd’hui dans cette Zone. On peut inclure l’échec des tentatives pour convoquer une conférence sur la Zone en 2012 et la recherche de consensus pour une déclaration finale lors de la conférence d’examen du TNP de 2015, principalement parce que les engagements en matière de désarmement mondial et dans la zone du Moyen-Orient pris lors des conférences d’examen précédentes n’ont pas été suivis d’effets de bonne foi.
L’absence de progrès – associée au fait qu’Israël, en tant que non-signataire du TNP, n’a aucune obligation de participer à la conférence sur la Zone dans le cadre du TNP – est l’une des raisons qui ont conduit à l’adoption d’une résolution en 2018 à la Première Commission de l’Assemblée générale des Nations unies (AGNU), présentée par les États arabes, demandant au Secrétaire général des Nations unies de convoquer une conférence régionale sur la Zone d’ici la fin de 2019. Cette conférence ayant été établie en dehors du processus du TNP, Israël pourrait se sentir plus enclin à y participer.
La première conférence de la Zone a été présidée par Sima Bahous, l’ambassadeur Jordanien aux Nations unies, avec la facilitation de l’Office pour le Désarmement nucléaire des Nations unies du 18 au 22 novembre 2019. Ce processus a surpris beaucoup de monde car la participation a été importante, avec la présence des 22 Etats membres de la Ligue arabe, l’Iran, les quatres États possédants l’arme nucléaire (Chine, France, Russie et Royaume-Uni). La participation des institutions internationales et l’aide des organisations issues de la société civile a également été remarquée.
Les seuls États manquants, malgré le fait d’être invités, étaient Israël et les Etats-Unis. Ils restent attachés sur le fait que la région n’est “pas prête” à discuter de cette Zone considérée comme anti-israélienne. Une caractéristique essentielle de la conférence est que les décisions sont basées sur le consensus. Par conséquent, la participation d’Israël à cette conférence lui permettrait d’exprimer, mais également de prendre en considération son point de vue, tout en n’ayant rien à perdre en vertu du processus décisionnel.
En 2019, les États participants ont adopté une déclaration politique qui encourage toutes les initiatives et les “recommandations pour l’établissement d’une zone sans armes nucléaires ou autres armes de destruction massive au Moyen-Orient”. Cette conférence présente une opportunité pour les Etats régionaux de discuter de bonne foi, sur la voie à suivre dans la Zone, ainsi que de résoudre les conflits géopolitiques auxquels la région est confrontée.
La Conférence de novembre 2021
La seconde session de la Conférence aurait dû commencer en novembre 2020, mais a été reportée à cause de la pandémie de Covid-19. Elle a donc eu lieu du 29 novembre au 3 décembre 2021. Sous la présidence du Koweït, la session d’ouverture de la Conférence a vu l’ambassadeur Mansour Al-Otaibi féliciter la Jordanie pour “son excellent travail comme président de la première session, ce qui a posé des solides fondations et a généré un élan louable pour le processus”. Il a réaffirmé qu’il est “pleinement engagé à entreprendre des efforts pour continuer à faire avancer le processus dans une approche ouverte et inclusive”. Le Secrétaire général des Nations unies António Guterres a félicité les participants pour la “continuation de ce processus important”. Il a ajouté à cette déclaration, “la force politique qui, avec l’appui du comité international de soutien, peut transformer la réalité de cette zone, pour un Moyen-Orient sans armes nucléaires, ni armes de destruction massive ». Abdulla Shahid, président de l’Assemblée générale des Nations unies, souligne la remarque, “15 000 armes nucléaires restent stockées par les Etats. Beaucoup pensent naïvement que la possessions de ces armes rend ces Etats plus sûrs, alors que le résultat réel est l’inverse”. Il ajoute ensuite que “la possession par certaines Etats encourage les autres à produire plus. Résultat, le dilemme de la sécurité menace d’envelopper la terre entière dans un champignon nucléaire”.
Après cette courte session d’ouverture, le rendez-vous a continué derrière les portes fermées. Parmi les points les plus saillants, citons la délégation jordanienne qui souligne l’importance des “plateformes contribuant à la promotion de la paix et de la sécurité dans la région du Moyen-Orient et dans le monde plus généralement”. Le traité du Maroc énonce, “Les conséquences humanitaires suite à l’utilisation de ces types d’armes sont indéniables, et l’évocation de cela doit être nécessaire à la mobilisation pour prendre toutes les mesures disponibles quant à l’installation [de cette Zone]”. Le traité du Qatar souligne les initiatives tangibles et pratiques pour renforcer le processus, comprenant les mesures comme : “les groupes de travaux ouverts et le développement d’idées pour la vérification, le contrôle et l’inspection des mécanismes ; la définition les éléments des traités ; les protocoles additionnels et les différents problèmes qui demandent dialogues et travail”. Cette proposition va plus loin en cherchant à “étudier les besoins nationaux et l’expertise régionale requise et à envisager la mise en place d’un programme intensif pour renforcer les capacités nationales à mettre en œuvre les engagements contenus dans ces traités”.
L’atmosphère pendant la session de clôture de la conférence était à la limite de la célébration et pleine d’espoir, les remarques finales des Etats participants faisant écho à l’importance de ce processus. La délégation égyptienne a donné le ton en reconnaissant l’espace ouvert au dialogue par “l’opportunité pour chacun d’exprimer son point de vue, en offrant une opportunité dans les cadres formels pour que chacun soit entendu”. La délégation iranienne a apporté son plein soutien à “l’adoption de plusieurs décisions au cours de cette session de la conférence, y compris l’adoption du règlement intérieur et la mise en place d’un comité de travail pour le processus des différentes sessions qui soutiendra la démarche effective et efficace de la conférence”, tout en admettant que “le succès de la conférence sera compromis tant qu’Israël refusera de participer alors que les États-Unis le soutiennent et ne coopèrent pas avec la conférence”. La délégation marocaine, comme beaucoup d’autres, a souligné l’importance de la flexibilité dont font preuve les États participants dans ce processus pour adopter une “approche consensuelle, identifier les points de convergence et combler les divergences par le dialogue, la diplomatie, la flexibilité et plus de volonté politique et cela, au final, sera au bénéfice de tous les peuples de notre région”.
Le rapport final a été adopté par consensus le dernier jour de la conférence. Les principales caractéristiques du rapport comprennent un accord sur le règlement intérieur, les domaines thématiques et la poursuite de la discussion par le biais de réunions intermédiaires. Ces réunions intermédiaires visent à réunir des experts techniques et diplomatiques entre chaque conférence annuelle afin de développer des idées, des politiques et des solutions techniques à toute une série de questions. Les domaines thématiques qui seront discutés lors des réunions intermédiaires et lors de la conférence suivante comprennent, sans s’y limiter, les éléments suivants : principes et objectifs ; obligations fondamentales liées aux armes nucléaires, chimiques et biologiques, y compris la vérification ; transparence et sécurité par la mise en œuvre du traité ; définitions, clarifications, consultations et coopération ; utilisations pacifiques et coopération internationale ; dispositions institutionnelles, entrée en vigueur et règlement des différents ; protocoles, y compris les garanties de sécurité ; et autres questions pertinentes.
Selon les mots de la délégation palestinienne dans son discours de clôture, “Nous avons aujourd’hui fait un pas de plus sur le long chemin vers l’objectif de débarrasser notre région de toutes les armes de destruction massive”.
La société civile et la conférence
En raison des restrictions COVID-19 au siège de l’ONU, les organisations de la société civile (OSC) n’ont pas pu accéder au bâtiment. Peu d’OSC ont reçu une accréditation officielle pour la conférence de novembre, suite à la décision prise le premier jour par les États participants à la conférence. Les six OSC accréditées étaient la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires (ICAN), les Médecins internationaux pour la prévention de la guerre nucléaire (IPPNW), le Lawyers Committee on Nuclear Policy, l’Organisation du traité du Moyen-Orient (METO), les Conférences Pugwash sur la science et les affaires mondiales et la Western States Legal Foundation.
Cette conférence, tout comme celle de 2019, a été un point de repère d’une importance cruciale sur la voie de la réalisation de la Zone. Alors que la position américaine sur cette initiative est que le moment n’est pas venu et que les États de la région ne sont pas prêts pour le désarmement, les États du Moyen-Orient se sont assis au centre de la salle, avec quatre États dotés de l’arme nucléaire et des organisations internationales dans les sièges réservés aux observateurs, tenant une discussion principalement en arabe (la langue la plus parlée du Moyen-Orient) avec les dirigeants de la région, discutant de la voie vers une zone exempte d’Armes de destruction massive (ADM) au Moyen-Orient d’une manière constructive et flexible. Bien que le siège d’Israël soit resté vide, il est important de se rappeler qu’il s’agit d’une occasion rare pour les États du Moyen-Orient de ne pas permettre à un État de paralyser les avancées simplement en étant absent. Dans ce processus long mais crucial, il est à espérer qu’Israël se joindra à l’avenir avec bonne volonté et dans un esprit constructif.
La décision des États d’établir un comité de travail pour poursuivre les délibérations pendant la période intermédiaire de la Conférence est un encouragement pour les Organisations de société civile (OSC) à poursuivre leur travail.
La Zone et la prochaine conférence d’examen du TNP en 2022
La résolution de 1995 sur le Moyen-Orient liait l’extension et l’intégrité du TNP à la Zone. Au cours des derniers jours de la dernière conférence d’examen du TNP en 2015, les cinq États dotés d’armes nucléaires ont détourné l’attention sur leur incapacité à progresser sur leurs propres engagements de désarmement, ou même à suggérer un calendrier pour le faire, en essayant plutôt de « résoudre » les problèmes auxquels le Moyen-Orient est confrontés. Leur manœuvre de mauvaise foi a consisté à utiliser l’absence de progrès sur la zone exempte d’armes de destruction massive au Moyen-Orient comme bouc émissaire pour expliquer l’échec de l’élaboration d’un document final. La prochaine conférence d’examen du TNP de 2022 souffrira probablement du même manque d’engagement de la part des États dotés d’armes nucléaires, mais cette fois, la pression des États et des Organisations de la société civile (OSC) qui défendent le désarmement nucléaire, et en particulier le Traité d’interdiction des armes nucléaires, sera de plus en plus forte.
Lors de la conférence d’examen de 2022, les États doivent faire preuve de plus de responsabilité lors de leurs délibérations et de la rédaction de leur document final.
Faire porter la responsabilité d’un éventuel échec de la conférence d’examen, une fois de plus, sur le Moyen-Orient, pourrait contraindre certains États de la région à réagir négativement (en particulier en cette période sensible de négociations visant à relancer le Plan d’action global conjoint, JCPOA). Cette réaction peut se manifester de multiples façons, de la possibilité pour certains États de quitter le TNP à des menaces militaires croissantes, en passant par une course aux armements nucléaires au Moyen-Orient et au-delà. En outre, étant donné qu’Israël ne fait pas partie au TNP, mettre l’accent sur une décision de la conférence qui singularise Israël, un État qui n’a aucun engagement juridique envers le TNP, est le contraire de la bonne foi et détourne l’attention de la recherche de moyens pour amener Israël à la table des négociations en toute bonne foi.
La résolution de 2018 de l’Assemblée générale des Nations unies sur la Zone doit être saluée et les États parties au TNP doivent reconnaître que la résolution est mise en œuvre par la conférence de novembre et les travaux intermédiaires. De même, les États de la zone proposée devraient faire état des nouvelles positives issues de la Conférence de novembre dans leurs déclarations à la Conférence d’examen du TNP.
Les soi-disant superpuissances ont exploité le Moyen-Orient pendant des siècles, et il est temps que les États de la région reprennent en main les échanges sur la Zone. Au lieu d’utiliser le Moyen-Orient, les États dotés d’armes nucléaires devraient montrer l’exemple et respecter leurs propres obligations en matière de désarmement. Tous les États parties au TNP doivent protéger ce précieux processus qu’est la conférence de novembre et le laisser suivre son cours avec le moins d’interférences possible.
L’Organisation du Traité du Moyen-Orient (METO) a été fondée en 2017 par des militants de la société civile et des analystes de la région, pour montrer les possibilités et les aspects pratiques d’une telle zone sans Armes de destruction massive (ADM) et s’engager auprès de tous les gouvernements et institutions concernés pour faire avancer ces importants engagements en matière de désarmement. S’appuyant sur les traités précédents, METO s’est engagé avec un réseau croissant d’experts régionaux et internationaux, de militants et de gouvernements dans des discussions sur les éléments d’un projet de traité – ce qui doit être couvert et comment la zone pourrait fonctionner. Le projet de traité est un travail en cours, destiné à inspirer, défier et engager tous ceux qui sont concernés par la paix et la sécurité.
Traduction de l’anglais par Camilo Morales