Les modes de consommation induits par notre société capitaliste, productiviste et consumériste sont de plus en plus remis en question par un nombre croissant de citoyens. Des raisons environnementales, économiques, sociales voire politiques sont à la racine de cette remise en question. Pressenza s’intéresse particulièrement aux alternatives à ce système dominant destructeur. Nous sommes allés de ce fait à la rencontre d’une démarche porteuse de futur : celui de « La Chouette Coop ». Ce supermarché coopératif et participatif qui se développe à Toulouse depuis 2015 propose une approche originale et novatrice de la relation entre consommateurs, producteurs et produits.
Comment est né le projet de La Chouette Coop, et aujourd’hui, qu’est-ce que c’est ?
Le projet associatif a démarré en janvier 2015, lorsqu’un groupe de Toulousain·es intéressé·es par la création du supermarché coopératif et participatif parisien, La Louve, a décidé de se lancer dans une aventure similaire. Après s’être familiarisé·es au fonctionnement général d’un « supermarché-test » dans un premier et petit local avenue de Lyon (faubourg Bonnefoy), les coopérateur·rices de La Chouette Coop ont ouvert leur supermarché de 175 m2 en juillet 2021 à Marengo (au 5 rue René Leduc).
Dans quelle vision de l’économie et de la société ce projet s’inscrit-il ?
Il appartient à ses coopérateur·rices qui assurent son fonctionnement. Un·e coopérateur·rice est une personne qui a souscrit une ou plusieurs parts sociales à la SAS Coopérative La Chouette Coop et qui respecte sa Charte. Il·elle s’engage à participer au fonctionnement de son supermarché à hauteur de 3 heures toutes les 4 semaines pour bénéficier de ses produits et services. C’est une alternative aux modes de distribution traditionnels.
Sur le papier, nous nous sommes donné·es les moyens de remettre en question collectivement des choix de société dans le domaine de la consommation alimentaire (pas de dividendes, ni actionnaires, refus de la pression sur les producteur·ices, priorisation du local et de l’écologique, lien humain et contribution collective au fonctionnement général). Cette remise en question est parfois complexe car il est plus difficile de sortir du cadre que d’y rester mais nous progressons d’année en année.
Comment fonctionne la gouvernance de la structure et comment se prennent les décisions ?
La Chouette Coop est gérée de façon démocratique par ses coopérateur·rices sur le mode : une personne = une voix. Les décisions importantes sont prises lors d’assemblées générales mensuelles. D’un point de vue opérationnel, une petite partie des coopérateur·ices s’implique fortement dans le fonctionnement quotidien hors magasin. Nous avons beaucoup évolué dans notre gouvernance au fur et à mesure du projet : elle était initialement assez pyramidale (président·es, coordinateur·ices, référent·es de groupes) et tend à devenir plus collégiale. Récemment, nous avons engagé la mise en place d’un fonctionnement en cercles, plus horizontal, dont l’un s’occupera par exemple de la résolution des conflits. Par ailleurs, nous mettons en œuvre certaines techniques d’éducation populaire visant à faciliter la circulation de la parole et la prise en compte des avis de chacun.e.
Comment La Chouette Coop finance-t-elle actuellement son fonctionnement ?
Nous avons contracté un prêt afin de subvenir aux besoins initiaux d’investissement matériel. Dans les projections que nous avons établies, le bénéfice permet de couvrir les dépenses de fonctionnement, le remboursement du prêt et les investissements futurs. La situation actuelle est moins simple que prévue du fait des bouleversements liés à la pandémie mais nous avons bon espoir de parvenir à l’équilibre à moyen terme.
Comment sont sélectionnés les fournisseurs de La Chouette Coop ?
Les membres du cercle « Produits » sélectionnent les producteur·rices, en se basant sur la Charte de La Chouette Coop, les besoins et envies des coopérateur·rices.
Les critères de choix sont, entre autres :
– priorité aux producteur·rices locaux respectant l’environnement, aux circuits courts
– un prix juste tant pour les producteur·ices que pour les coopérateur·rices
– exigences gustatives, nutritionnelles et sanitaires
Cependant, nous avons réalisé, au fur et à mesure de nos apprentissages, que la question du « local » était complexe : travailler avec nombre de producteur·ices, en direct, entraîne souvent une complexification des commandes et une multitude de trajets de livraison peu écologiques. Nous nous questionnons donc actuellement sur les filières d’approvisionnement à favoriser. Le modèle de la plateforme coopérative locale (comme par exemple le projet COOP MIL) travaillant avec les producteur·rices dans un rayon de 100 km nous intéresse particulièrement.
Les prix que vous pratiquez sont-ils abordables pour tous les budgets ?
La Chouette Coop avait initialement pour intention de vendre des produits dans trois gammes alimentaires : économiques, bio et local (circuit court). En pratique, les produits économiques de faible qualité intéressent peu nos coopérateur·ices. À ce jour, notre offre est essentiellement centrée sur des produits bio ou locaux, qualitatifs, vendus à des prix souvent beaucoup plus attractifs que dans la plupart des commerces alimentaires. Ainsi, plutôt que de prétendre entrer en compétition avec les poids lourds du commerce de détail, nous avons la prétention d’apporter de la nourriture saine et de qualité sans reporter sur nos coopérateur·rices les marges importantes des magasins bio standard.
Les membres de la Chouette Coop ont-ils un profil particulier et quelles sont leurs motivations à participer ?
La sociologie de la coopérative est très diversifiée du point de vue de l’âge, et nous sommes fier.es de cette réussite. D’un point de vue social, nous avons encore des progrès à faire et nous y travaillons. Comme dans de nombreuses associations, la sociologie des membres les plus impliqué·es laisse une large part aux retraité.es.
Ce qui réunit les coopérateur·rices est essentiellement le besoin d’éthique et l’envie de se réapproprier cette part fondamentale de notre vie quotidienne qu’est l’alimentation.
Êtes-vous soutenus par une ou des collectivités territoriales ?
La Chouette Coop est soutenu depuis le début par le Crédit Coopératif, la Fondation Macif, France Active, IèS, La Nef, la Mairie de Toulouse, Première Brique (incubateur Toulouse Métropole et France Active) et Toulouse Métropole. Nous avons été et sommes, ponctuellement, soutenus par des structures et initiatives locales et territoriales (espace de coworking (Étincelle), subventions, locatif et foncier, appels à projet).
De quoi avez-vous le plus besoin aujourd’hui pour avancer ?
Aujourd’hui, nous avons besoin de renforcer le lien entre le projet et ses coopérateur·rices, qui s’est un peu distendu durant ces deux années très particulières. Il nous faut renforcer l’idée que s’approvisionner à La Chouette Coop n’est pas un acte de consommation comme les autres mais le choix d’un autre modèle d’organisation sociale.
Que diriez-vous en conclusion provisoire ?
En conclusion, nous pouvons être très fier.e.s du chemin parcouru depuis 7 ans. Aujourd’hui, nous sommes tou.tes propriétaires d’un magasin fonctionnel, agréable, qui est un lieu vivant où nous nous retrouvons pour nous fournir en produits de qualité à moindre coût mais aussi afin de partager une belle aventure collective.