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Il y a 32 ans, le 29 mars 1990, 139 enfants russes, ukrainiens et biélorusses arrivaient à Cuba, après l’explosion du réacteur numéro 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl. Ce jour là naissait le programme humanitaire le plus long de l’histoire.
Cubaperiodistas se rappelle de cette date et republie ces histoires, comme une contribution et un encouragement à la véritable paix et à un monde meilleur.
Introduction
Un jour de 2011, Sonia Cunliffe, créatrice visuelle péruvienne, visite la station balnéaire de Tarara. Des enfants chauves se baignant attirent son attention. Elle demande qui ils sont et on lui répond : les enfants de Tchernobyl. Cela la marque mais elle n’apprendra rien de plus à ce moment-là. En 2015, le hasard fait que nous nous rencontrons et elle me demande si je connais cette histoire. Je lui raconte ce que j’avais en mémoire. Elle veut absolument faire une exposition sur ce sujet et elle me demande de travailler avec elle dans ses recherches. J’hésite, mais j’accepte. Et aujourd’hui je la remercie infiniment. Mon frère, médecin, m’a donné un premier contact, celui du Docteur Julio Medina, qui m’a ensuite adressée à d’autres médecins, à des patients, à des traducteurs, à des centres de recherche, au Centre d’Hygiène des Radiations de Cuba et à des hôpitaux. Les journaux Granma et Juventud Rebelde m’ont ouvert leurs archives, leurs journaux. Des collègues m’ont remis des archives vidéos, et de fil en aiguille, en un an, j’ai mené les recherches nécessaires à ce projet d’exposition qui eut du succès dans plus d’un pays. Ce fut une des expériences professionnelles les plus belles de ma vie.
C’est ainsi que l’histoire commence
Quelques années après l’explosion du réacteur numéro 4 de la Centrale Nucléaire de Tchernobyl, l’URSS à l’époque demandait de l’aide pour tenter d’atténuer les traces laissées par l’explosion nucléaire sur la population, surtout la population infantile. Cuba s’est portée volontaire immédiatement. Malheureusement ce ne fut pas le cas de beaucoup de pays développés dont l’aide fut insuffisante face à la demande et à l’urgence de la catastrophe.
Un jour de 1989, à l’occasion d’une réception officielle, le Secrétaire Général du Komsomol ou de la Jeunesse Communiste en Ukraine, Anatoli Matvienko, se dirige vers le consul cubain Sergio López et lui confie toute sa préoccupation sur l’état des enfants ukrainiens après l’accident nucléaire de Tchernobyl.
Lilia Pilitay raconta au journaliste Julio Morejón de Juventud Rebelde à La Havane (il faut dire que d’après ce que nous savons, Lilia Pilitay est une amie fidèle de Cuba et partisane de la réouverture du programme humanitaire) qu’après des consultations avec la direction du pays, avec Fidel tout particulièrement en raison de la tâche délicate, tout le processus de ce qui est devenu ensuite un programme humanitaire a été lancé immédiatement. Sergio a géré rapidement le sujet, et dans le Komsomol ukrainien, la phrase « ils travaillent comme Sergio » est devenue populaire.
Selon les dires du Dr. Julio Médina, qui fut Directeur du Programme en grande partie durant les 21 années de son existence, le Ministère de la Santé Public de Cuba a créé une commission de spécialités en hématologie, oncologie, endocrinologie, cliniques et autres spécialités qu’il a envoyée en Ukraine. Une fois sur place, en contact avec les autorités sanitaire du pays et avec l’aide du Komsomol, les médecins ont commencé à analyser la situation, à organiser des consultations et à travailler sur le terrain avec les patients qui avaient besoin de soins médicaux urgents. Le premier groupe fut constitué des plus malades.
C’est ainsi qu’un premier vol vers Cuba a été organisé. 139 enfants très malades, soufrant de problèmes onco-hématologiques arrivent à La Havane le 29 mars 1990 à 20h46 sur un vol Aeroflot. Fidel lui même les reçoit, à la sortie de l’avion. Les hôpitaux pédiatriques Juan Manuel Márquez, William Soler et l’Institut d’Hématologie étaient prêts à les accueillir. Cette nuit-là marqua le début de la préparation d’un programme qui devait permettre de soigner simultanément des milliers d’enfants venant des régions les plus touchées de Russie, Bielorussie et Ukraine.
Comment le programme de soin s’est-il organisé à Cuba pour les enfants de Tchernobyl ?
En 1990, le Docteur Carlos Dotres était le directeur de l’hôpital pédiatrique William Soler. Lorsque l’épidémie de dengue hémorragique sévit à Cuba en 1981, c’est la population infantile qui en souffrit le plus. Le Docteur Carlos Dotres collabora de manière décisive à l’organisation d’un programme de soin massif pour les enfants victimes de cette épidémie. Dans la ville de los Pioneros José Martí de Tarara, 75 mille enfants cubains ont été soignés et ont reçu des traitements immunologiques avec de l’interféron. On a demandé au Dr. Dotres de participer à la création d’un programme global qui pourrait permettre de soigner 10 mille enfants touchés par la catastrophe nucléaire de Tchernobyl suite à cette expérience, dans la même station balnéaire de Tarara, à l’est de La Havane.
La création du programme ne s’est pas seulement basée sur les enfants malades mais également sur les lieux contaminés et l’effet sur l’eau, les aliments et l’environnement de manière plus générale. Trois républiques de l’ex-URSS ont été particulièrement touchées en raison de leur proximité avec Tchernobyl : la Russie, la Biélorussie et l’Ukraine. L’Ukraine a particulièrement souffert en raison de la faible présence d’iode dans l’eau consommée par la population. Les thyroïdes et particulièrement celles des enfants étaient gourmandes en iode radioactif libéré dans l’atmosphère lors de l’explosion nucléaire. Il a été estimé que les maladies liées à la thyroïde seraient les plus impactantes au cours des années qui suivirent. Le suivi confirma cette hypothèse médicale.
À partir de cet instant, les équipes interdisciplinaires de Cuba ont commencé à étudier et faire des recherches sur un sujet que Cuba ne connaissait pas. Il y eut quelques éléments concluants comme par exemple le fait de réussir à sortir une population d’un milieu contaminé pour la placer dans un milieu sain et permettre à leur organisme de guérir plus rapidement.
Le Docteur Carlos Dotres, Ministre de la Santé Publique de Cuba entre 1995 et 2002, confirme que le programme fut élaboré dans le but d’honorer deux objectifs : traiter les enfants malades suite à la catastrophe, et les emmener dans une zone propre où les observer et les étudier afin de dresser un protocole de soins qui permette de les suivre médicalement dans leur pays d’origine.
Le programme avait également d’autres objectifs : caractériser cliniquement tous les enfants. Les médecins cubains et autres les ont classifié en fonction de leur provenance. Ils ont répartis les enfants en quatre groupes : les plus malades allaient directement à l’hôpital ou dans des instituts de médecine et de recherche. Un second groupe présentait un impact psychologique important qui se muait en maladies psychosomatiques comme le psoriasis, l’alopécie ou d’autres maladie. Le troisième groupe ne présentait pas de symptômes complexes et le quatrième groupe était considéré comme constitué d’enfants plutôt sains.
Au début, 350 enfants pouvaient être accueillis à Tarara, dans les lits hospitaliers. Des zones spécialisées ont été créées en fonction des maladies développées et les médecins et infirmiers restaient tout le temps avec eux. Des services stomatologiques ont été créés à partir d’hypothèses prises sur l’incidence des radiations sur la prolifération de caries et d’autres maladies buccales : un grand nombre d’enfants avaient des caries. On a mesuré le taux de radiation de tous les enfants à leur arrivée au Centre d’Hygiène des Radiations de Cuba : le résultat devait déterminer s’il fallait faire des études génétiques. Une zone fut créée à Tarara pour les enfants qui devaient suivre un traitement d’histothérapie placentaire pour la chute des cheveux et le psoriasis. Elle était dirigée directement par le Dr. Carlos Manuel Miyares Cao, créateur d’une vingtaine de produits permettant de soigner ces pathologies ou d’autres comme le vitiligo à partir du placenta humain. Les enfants bénéficiaient également d’un suivi psychologique.
Chaque groupe venait avec ses médecins et ses professeurs puisqu’on organisa également la continuation des études à Tarara. Il y avait un guide pour 10 à 15 enfants, et l’un des parents accompagnait les enfants les plus malades. Des logements ont été mis à disposition à proximité des hôpitaux où étaient hospitalisés les plus malades afin de permettre aux familles de rester tout près, surtout dans les cas où les hospitalisations duraient longtemps, des années parfois. Ce programme se fit selon différentes étapes et dura 21 ans, gratuitement.
(*) L’auteure,
Directrice du département de Journalisme, Professeure à la Faculté de Communication de l’Université de La Havane. Présidente de la Chaire de Journalisme Cinématographique Santiago Álvarez.
L’article original se trouve sous le lien : Los ninos de Chernobil en Cuba: una historia no contada, parte 1
Traduction de l’espagnol, Frédérique Drouet