Depuis plus de deux ans que les embrouilles et les rebondissements n’en finissaient plus, ça y est, le dernier procès a été gagné cette année ! Il s’agit ici à la fois d’une victoire écrasante contre les plaintes SLAPP (Strategic Lawsuits Against Public Participation – https://anti-slapp.org/what-is-a-slapp) tentant d’intimider les activistes et de museler la liberté d’opinion et d’une belle victoire pour les partisans d’une agriculture sans pesticides, respectueuse du vivant.
Campagnes d’intimidation menant au tribunal
Mais reprenons depuis le début. Souvenez-vous : en novembre 2019, ouverture d’une procédure pénale au tribunal de Bozen. Le lobby des producteurs de pommes, avec à sa tête le Conseiller en agriculture de la Province, Arnold Schuler, porte plainte contre Alexander Schiebel pour son livre (2017) et son documentaire éponymes (2018), Le miracle de Malles Venosta, son éditeur munichois et Karl Bär pour diffamation : ils ont osé remettre en question les pratiques dites « phytosanitaires » de la Province. Les pommes, ça rapporte gros. Cracher dans la soupe des autres, ça ne se fait pas. S’ensuit un grand procès très médiatisé au Sud-Tyrol et observé par Bruxelles, le soutien d’environ 100 organisations et plus de 250 000 signatures de personnes exigeant la relaxe des accusés.
Karl Bär, de l’Institut pour l’environnement de Munich, avait quant à lui détourné façon Greenpeace une publicité vantant les atouts touristiques du Sud-Tyrol… et l’hyper-pollution due aux pesticides. La Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatovic, évoque dans un article[1] du 27 octobre 2020 ce procès comme étant un cas de SLAPP[2] (poursuite stratégique contre la mobilisation publique) et qu’il est temps de cesser ce genre de poursuites.
Un bras de fer moins juridique que politique
Les rebondissements dans l’affaire sont multiples. Arnold Schuler, s’il a réussi à rassembler autour de lui une meute de 1 372 producteurs fruitiers qui semble prête à tout, mais qui s’est finalement désistée en retirant sa plainte – premier coup de théâtre – n’en démord pas. Il annonce pour finir qu’il va lui aussi retirer sa plainte, mais n’en fait rien – deuxième coup de théâtre – jusqu’à ce que le juge le somme de se décider.
Alors qu’on l’espérait sans s’y attendre, le premier à être acquitté en octobre 2020 est l’éditeur, puis c’est au tour d’Alexander Schiebel le 28 mai 2021. Mais le suspens s’est poursuivi autour de la personne de Karl Bär, collaborateur de l’Institut pour l’environnement de Munich, qui restait sur la sellette. Il lui aura fallu quatre déplacements pour assister aux audiences avant qu’enfin, le vendredi 6 mai 2022, le tribunal régional rende son dernier jugement dans cette affaire et acquitte Karl Bär.
Tout le monde se réjouit… vraiment ?
Il est évident qu’un gros fardeau pesait sur les épaules des accusés : la menace de devoir payer des millions de dommages et intérêts… Avec, en outre, la perspective des frais de justice qui n’ont pas la réputation d’être insignifiants. Ils en sont débarrassés et auraient tort de ne pas s’en réjouir. Le fait qu’une SLAPP ait été déboutée est également un précédent positif qui fera date et pourrait bien faire réfléchir les lobbys qui s’attaquent aux activistes de tout poil.
Mais ceux qui jubilent certainement le plus sont assurément… les plaignants. En effet, une fois tout le tintouin médiatique apaisé, on met tout sous le tapis et on reprend le business as usual. C’est à se demander à quoi bon tant d’efforts si les conséquences de ces procès ne sont pas clairement appliquées et la réduction drastique des pesticides tant attendue – car c’est bien cela l’autre enjeu – n’est pas mise en œuvre et respectée ?
Une victoire sur toute la ligne… en pointillés
L’EFSA (autorité européenne de sécurité des aliments) a décidé de ne présenter qu’en juillet 2023 son estimation des risques sur le glyphosate, ce qui signifie que la décision sur la nouvelle autorisation (ou non) de l’épandage qui était prévue avant le 16 décembre 2022, date de fin de l’autorisation actuelle, sera repoussée. Les néocotinoÏdes refont leur apparition dans les champs de betteraves, pour ne citer que ces deux exemples. Il est donc clair que cette bataille est loin d’être gagnée et qu’à Malles Venosta, comme dans beaucoup d’autres régions européennes, on continuera à respirer les aérosols des pesticides et à voir s’amenuiser la biodiversité. Et tant que les pesticides interdits en Europe continueront d’être vendus en Afrique ou ailleurs, le monde entier profitera de leurs cocktails toxiques.
Quid des protagonistes ?
Beatrice Raas, l’une des figures de proue de la révolte à Malles Venosta, a fermé cette année son salon de coiffure (après 25 ans !) pour y ouvrir une Académie de protection de l’environnement : elle transmettra dorénavant ses connaissances en la matière aux intéressés.
Après son livre et son documentaire sur le village rebelle, Alexander Schiebel s’est lancé dans la narration de son procès selon sa formule éprouvée par lot de deux : livre et film, intitulés Gift und Wahrheit (poison et vérité), la vente du livre et les futurs acheteurs finançant le film.
Karl Bär, quant à lui, en tant que candidat des Verts allemands, est dorénavant membre du Bundestag depuis les élections de 2021 et fidèle à ses engagements, se consacre essentiellement à l’alimentation et l’agriculture.
[1] https://www.coe.int/en/web/commissioner/-/time-to-take-action-against-slapps
[2] Strategic Lawsuit Against Public Participation.