Hervé Dole, Université Paris-Saclay
Stupeur au laboratoire : une belle lettre décorée, très inhabituelle, m’est destinée. En l’ouvrant, je découvre une élève de 8 ans en classe de CE2 qui me pose ces questions : « si avant le Big Bang il n’y avait rien, comment et pourquoi le Big Bang s’est produit ? » ; et d’ailleurs « c’est quoi rien ? ». Voici mes tentatives de réponse.
Chère Capucine,
Ta belle lettre illustrée avec ses questions profondes m’est bien parvenue. Ta lettre est devenue un peu célèbre dans mon laboratoire de l’Institut d’astrophysique spatiale d’Orsay, car de nombreux collègues avaient vu l’enveloppe avant moi et m’ont demandé : « quelle est cette lettre décorée ? ».
Ta lettre a fait sensation d’abord par son esthétique et le soin des dessins et de la décoration : félicitations ! Elle a ensuite fait sensation du fait de son expéditrice : une jeune passionnée de 8 ans. On reçoit rarement tel courrier. Et sensation, enfin, par la profondeur et importance de tes questions sur le Big Bang, et le « rien ».
Tes questions concernent le Big Bang et le rien. Peut-être est-ce utile de d’abord en parler un peu, puis d’aborder tes questions « si avant le Big Bang il n’y avait rien, comment et pourquoi le Big Bang s’est produit ? » ; et d’ailleurs « c’est quoi rien ? ». Y répondre est un exercice très difficile, mais puisqu’il est important, je m’y essaye.
Le Big Bang
Le modèle du Big Bang – un modèle en science est une simplification de la réalité, mais néanmoins assez fidèle – provient de très nombreuses observations et de réflexions (théories) depuis environ un siècle. De grands noms comme Einstein, Lemaître, Hubble, Gamov, Penzias & Wilson, Peebles sont associés à l’élaboration de ce modèle du Big Bang et des observations associées, tout comme des grands observatoires en Californie, dans le New Jersey, ou surtout récemment dans l’espace avec la NASA et surtout l’Agence spatiale européenne (ESA) et le satellite Planck, en grande partie conçu à Orsay, et bientôt le satellite Euclid que nous préparons activement.
Le modèle du Big Bang est donc bien plus qu’une simple idée parmi d’autres : c’est le meilleur (ou le moins pire) des modèles relatant l’histoire de l’univers, compte-tenu des nombreuses observations dont nous disposons et de la compréhension des lois physiques que nous avons. Ce modèle a cependant quelques problèmes (comme la mesure du taux d’expansion de l’univers, la nature de la matière noire ou de l’énergie sombre), et les scientifiques d’aujourd’hui et de demain s’attachent et s’attacheront à les résoudre. Il est possible qu’à l’avenir un meilleur modèle détrône celui du Big Bang, ou qu’une nouvelle physique émerge pour résoudre ces problèmes.
Ce modèle du Big Bang, conforté par de nombreuses observations, nous indique que les débuts de l’Univers devaient nécessairement avoir lieu dans des conditions de température et de densité extrêmes, bien plus que ce que nous connaissons aujourd’hui par exemple au cœur des étoiles.
Dans ces conditions extrêmes de chaleur et de densité (et d’énergie), les lois physiques deviennent plus compliquées, à tel point que les détails d’une telle théorie ne sont pas encore bien établis. Sans entrer dans les détails, on sait que nos notions habituelles de temps, d’espace et de masse, prennent un jour nouveau à ces échelles d’énergie.
Nos théories et observations arrivent cependant la prouesse de mesurer certains aspects du Big Bang jusqu’à un infime instant après le début (ce qu’on appelle l’inflation cosmique).
Avant le Big Bang ?
Alors qu’y avait-il avant ? On ne le sait pas vraiment – en tout cas pas moi. Cependant, il y a deux familles de possibilités étudiées par mes collègues scientifiques.
La première consiste à dire que les conditions de chaleur, densité, énergie aux premiers instants sont telles que les notions de temps et d’espace doivent être questionnées. Autrement dit, on ne sait pas trop ce que signifie le temps vers ce moment-là, si j’ose dire.
Cela nous paraît incongru de ne pas savoir définir le temps, mais c’est une notion finalement assez complexe. Saint Augustin d’Hippone vers le IVe siècle ne s’étonnait-il pas :
« Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais ; mais si on me le demande et que je veuille l’expliquer, je ne le sais plus » ?
Si même la notion de temps est écartée un instant, il est tout à fait possible de concevoir que l’Univers soit parti de « rien », nous y reviendrons plus bas.
La seconde consiste à invoquer un « précédent » univers, qui serait en contraction sous forme d’un effondrement global et violent (parfois appelé « Big Crunch ») et qui donnerait ensuite, en une sorte de rebond, notre Big Bang : c’est le modèle « à rebond », actuellement encore fort spéculatif mais sérieusement étudié.
En résumé, la question du « avant » du Big Bang est très complexe, c’est la raison pour laquelle tu n’as probablement encore jamais eu de réponse satisfaisante – y compris la mienne. J’espère que tu te rendras compte que le plus important est certainement de (se) poser des questions, et pas forcément d’avoir des réponses. Et que ce manque de réponses ne te découragera pas de continuer à te questionner, au contraire ! C’est finalement en questionnant les autres et le monde qu’on arrive à mieux le comprendre, pas en obtenant des réponses toutes faites par les autres.
Le « rien » en physique
La notion de rien est aussi très riche et complexe dans tous les domaines de la pensée et création humaines. S’agissant de la science, commençons par une expérience de pensée : tu regardes une bouteille de 1 litre vide et fermée par un bouchon. Et tu te demandes : qu’y a-t-il à l’intérieur de la bouteille ? Rien ou quelque chose ?
La physique te dira qu’il y a très certainement de l’air dans cette bouteille. Tes yeux te diront certainement : rien, ou du vide. Il y a pourtant dans l’air de cette bouteille environ 1022 atomes, ce qui n’est pas rien. Or nos yeux ne voient rien. Donc « rien » est-ce simplement ce que nos yeux voient ? Ou ce que nos instruments arrivent à mesurer ? Ou ce que nos théories prédisent ?
En science, on penche plutôt vers les deux dernières solutions. Il se trouve que « rien » en physique n’est pas bien défini – du moins à ma connaissance – et on parle plutôt de vide. Et le vide est très riche aussi. En particulier en physique, le vide (absence de matière) est en fait rempli… d’énergie. Ainsi, le vide n’est-il pas « vide » puisque de l’énergie y est décelable dans certaines conditions.
Je résumerais donc ma réponse en te disant que le « rien » en physique est plutôt représenté par le vide, et que le vide – s’il correspond bien à une absence de matière – n’en est pas moins exempt d’énergie.
Comment et pourquoi le Big Bang s’est produit ?
La science ne répond pas vraiment à la question « pourquoi ? » mais plutôt à la question « comment ? ». En effet, « pourquoi » semble invoquer l’existence d’un but, d’une direction, d’une intention. Or la science n’a pas besoin d’invoquer une intention dans le déroulement des évènements dans l’Univers : elle a juste besoin de certaines règles (des lois physiques que l’on cherche à mieux comprendre) comme dans un jeu, et de laisser faire le temps, avec son lot de « hasard » (je mets des guillemets car les scientifiques arrivent aussi à mesurer ou quantifier ou qualifier le hasard). Je propose donc de discuter de la question « comment le Big Bang s’est-il produit ? »
Sans être moi-même un expert des tous premiers instants de l’Univers, je peux néanmoins t’indiquer le modèle actuellement favorisé par mes collègues. J’évoquais le vide plus haut, en te disant qu’il contient en fait de l’énergie. On pense que ce champ d’énergie a des petites variations (on dit « fluctuations ») et que certaines d’entre elles ont donné lieu au Big Bang.
Ainsi dit, cela paraît énigmatique. Mais j’espère que tu pourras saisir que finalement le Big Bang pourrait avoir pour origine finalement un vide pas tout à fait vide puisque rempli d’énergie, et que la physique (en tout cas les lois que nous connaissons, les fameuses règles du jeu) permet de convertir cette énergie en… Univers !
J’espère que ce lien entre Big Bang, rien et vide te paraît moins mystérieux désormais, même si pour nous les scientifiques de nombreuses inconnues demeurent ! Le déroulement du Big Bang ensuite est bien mieux connu, avec plusieurs phases, qui sont bien décrites.
Peut-être que ta curiosité t’amènera à l’avenir à rejoindre les rangs des scientifiques ou penseuses pour venir nous aider à répondre à l’une de ces questions, d’une manière ou d’une autre ? Je te le souhaite en tout cas, quelle que soit la voie que tu choisiras.
Bonne continuation à te poser des questions sur le monde, bonnes vacances et bonnes fêtes !
Hervé Dole, Professeur (astrophysique et physique) – Institut d’Astrophysique Spatiale (CNRS & Univ. Paris-Saclay), Université Paris-Saclay
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.