A NOS SOUFFLES
» Cette performance de danse est née d’un collectif de danseuses réunies autour d’un ressenti commun; l’impression de suffoquer de ne pouvoir danser dans un contexte pandémique de restrictions de libertés. La performance cocréé à Paris de janvier au printemps 2021 se structure autour du souffle et prend place dans l’espace clos et routinier du métro. Entre souffles et soufflerie souterraine, la performance aussi bien que la pièce sonore qui s’en inspire cherchent à questionner nos espaces d’évasion et d’expression libre. »
Elles se prénomment Iga, Hélène, Clara , Claudia, Mei, Ophélie, Annabelle, Coline, Brune. Elles ont entre 28 et 50 ans et sont liées par la danse. Je les ai rencontrées au Théâtre de l’Odéon lors du confinement et elles m’ont invitée à les suivre dans le métro ou je les ai photographiées et filmées.
Je leur ai posé quelques questions et les laisse répondre.
Que représente la danse pour toi ?
Annabelle-La danse c’est plus qu’un loisir, c’est ma vie, ma thérapie, mon plaisir, ma manière d’être dans l’instant présent où cœur, corps et âme sont en harmonie.
Clara– C’est ma façon d’exprimer ma gratitude à la vie.
Colline-Quand je danse, chante, ou même parle ou écris, comme là je t’écris à toi, et je sens que ça vibre à l’intérieur de moi, je me sens forte, vivante.
Brune-La danse m’a permis de me reconnecter à moi-même et de faire de merveilleuses rencontres.
Helene-Elle est libératrice, me connecte à mon corps et aux autres sans avoir besoin de passer par les mots, avec lesquels je n’arrive pas toujours à exprimer ce que j’ai à l’intérieur.
Mei– La danse comme toute forme de discipline artistique est vitale.
Ophélie– La danse m’aide à mieux composer avec la dureté de ce monde.
Comment ressentez vous le contexte actuel à la fois sanitaire et ses conséquences -restriction de liberté, de l ‘arrêt de votre activité autour de la danse ?
Annabelle – Je suis assez frustrée de la politique de l’Etat qui privilégie le capital avant tout, en méprisant la culture.
MEI– Je me suis sentie prisonnière un moment donné, mais par la suite, le contexte actuel ne m’a pas empêchée de danser
Helene– Ça m’a aussi fait prendre conscience que créer était essentiel à mon bien être et que ça faisait plus d’un an et demi que j’avais négligé cet aspect-là de ma vie ; il était temps d’y remédier.
Clara– Quand j’ai compris que je ne pouvais plus danser quand et où je voulais, ça m’a fait très peur.
Claudia– Les restrictions de liberté sont dangereuses dans la mesure où elles déresponsabilisent les sujets et induisent une perte d’autonomie d’action.
Ophélie– Ce qu’il y a de bien avec les restrictions et interdictions, c’est que ça nous donne envie de désobéir ! Je n’ai jamais eu autant la rage de vivre, envie de transgresser.
Colline– Je me suis sentie forcée, bloquée, dupée, diminuée. Mais j’ai vu beaucoup de gens s’écrouler. Bien plus à cause des conséquences de cette crise, qu’à cause du Covid-19. Je n’ai jamais autant travaillé qu’en cette période.
Comment est née l’idée de cette performance ? Qui l’a proposée ? Qu’est- ce qui vous a motivées, intéressées, inspirées ou déterminées à y participer ?
Annabelle– Cette performance est issue d’un déclic où je sortais d’une période d’apathie. Un acupuncteur dans le sud avec qui je discutais m’a balancé « Qu’est-ce que vous foutez les artistes à Paris ? Emparez-vous des rues, les gens ont besoin de voir des spectacles ! ». Et je me suis dit et pourquoi pas ? .J’avais toujours rêvé de performer dans l’espace public alors Je l’ai proposé dans un réseau de danseurs.euses, les copines ont répondu.
Helene -C’est un fonctionnement collectif qui m’a intéressée. Toutes, nous proposions des idées et peu à peu la performance « À nos souffles” a pris forme.
Mei– Pouvoir lancer un message important sur nos libertés interdites, spoliées.
Helene– Ce qui m’a intéressée est de créer ensemble cette performance, qu’il y (est) ait un peu de la patte de toutes les filles, des inspirations de chacune.
Claudia– Dans un moment de limitation de l’expression artistique c’était un appel bienvenu. Les séances de création étaient inspirantes, chaleureuses, avec ce partage créatif en groupe.
Que souhaitez vous exprimer ? Ou dire, faire ressentir ?
Ophelie– Être et respirer ensemble (notre groupe de danseuses); A mon humble échelle, créer du lien/de l’interaction avec les voyageurs du métro, par l’humour, la danse, et le jeu. Rappeler que les danseurs.euse.s sont précaires et que la culture est en danger. Que la situation n’est pas normale.
Helene-Le message exprimé avec des mots était celui de notre mécontentement face à ces choix politiques qui ont sacrifié la culture mais qui ont aussi fait mal à tout le monde, en nous infantilisant, en nous divisant, en hiérarchisant les domaines d’activités, et en insinuant comme à l’école, que les activités artistiques sont anecdotiques, ont une valeur moindre. L’art est pourtant vital pour un minimum de confort moral.
Annabelle- A la base on est parties de l’idée du souffle et le message s’est peu à peu transformé en une respiration dans une époque où on suffoque sans art.
Claudia-Le message principal, pour moi, était l’espoir.
Colline– C’est possible de vivre, d’être fou, d’oser, de chanter ou de danser, de se toucher, d’être touché, de ressentir. C’est effrayant, c’est bizarre, c’est gênant, mais c’est possible. C’est la vie quoi !
Pourquoi braver un interdit ? Et qu’est ce que cela signifie pour vous et aussi pour le public ? Etre femme et braver un interdit ?
Annabelle-Je n’ai jamais réussi à respecter une règle que je ne comprenais pas, alors l’interdit est pour moi vite bravé. Après c’est assez euphorisant d’être une femme et de prendre la place dans l’espace public où on est plutôt censées marcher tête baissée. Ça fait du bien à l’estime de soi.
Clara– Être femme et braver un interdit ? Heureusement c’est de plus en plus commun, on est sur la bonne voie.
Claudia-Apporter avec la performance un moment de réflexion, de l’énergie et de la joie. Etre femme et braver un interdit ? De par mon éducation je ne m’identifie pas à un genre. Je suis moi. Humain, sensible, inspiré, …
Colline– Pour moi, c’est avant tout oser se regarder, se reconnaitre, s’entendre. Parce que je crois que c’est comme ça qu’on avance, qu’on se soigne et qu’on peut vivre ensemble.
Helene-Performer dans le métro, dans les faits c’est interdit ou soumis à une autorisation qui nous aurait été refusée, mais je n’adhère pas à l’idée que ce serait une mauvaise chose de proposer cette parenthèse poétique, alors faisons là! J’ai toujours préféré suivre mes propres valeurs morales dans la vie plutôt que de me plier à des conventions auxquelles je ne crois pas.
Mei-Et puis qui dit interdit dit liberté. Si l’interdit n’existait pas, il n’y aurait pas lieu de parler de liberté et de vouloir être libre. C’est humain ! Quel enfant n’a jamais désobéi aux restrictions de ses parents ?
Ophelie-A mon sens, braver un interdit permet de désacraliser l’oppresseur/l’oppression, donc de reprendre son pouvoir, et par extension d’avoir moins peur. NOUS (le peuple) sommes plus puissants que nous ne l’imaginons !…
Que ressentez vous lors de votre performance ? Et que ressentez vous par rapport au public ?
Annabelle-Une belle énergie de groupe, de l’amusement, la sensation de faire quelque chose qui a du sens.
Mei– Je ressens une certaine adrénaline. Le public est plus au moins réceptif selon les jours, je danse pour ceux qui veulent bien écouter et regarder, et je me dis c’est ok, et pour les autres c’est leurs choix ! Et qu‘il y en aura au moins une, ou un, qui aura entendu le message et s’il y en a beaucoup c’est super.
Clara-Je me sens forte, confiante et fière. Les filles me donnent une belle énergie. Le public peut être déstabilisant mais cette espèce de tension que je ressens avant la performance me donne encore plus envie de la faire.
Helene– D’abord du stress, comme à chaque fois que je monte sur scène. Une montée d’adrénaline aussi. Et quand je sens que l’on captive, surprend, fait sourire certaines personnes alors là c’est beaucoup de plaisir. C’est notre récompense.
Colline-Ça me fait du bien de voir qu’il y a des gens que ça touche, que tout le monde n’est pas tout gris, que certains, comme nous, n’attendent que ça, d’être surpris, d’être émus.
Claudia– Ensemble, connexion, partage
Ophélie-Une rage créatrice ! De la joie, de la résilience, du courage, de la cohésion et de la complicité avec mes partenaires de danse.
Avez vous un message pour le futur ? Pour les gens, pour la société, pour l’art, les jeunes les femmes ?
Clara– L’art n’est pas une option ! Les femmes non plus.
Brune-Jetons nos téléphones, prenons le pouvoir ! Reconnectons nous, dansons, chantons, sourions nous, regardons-nous dans les yeux…
Annabelle-Les femmes et les arts ne sont pas secondaires. Je rêve d’un monde où les femmes seraient aussi légitimes que les hommes dans l’espace public. Où il ne soit jamais interdit de danser, où la vie ne serait pas métro-boulot-dodo. Sinon ça ne s’appellerait pas vivre.
Mei-En toute situation, gardons notre âme d’enfant! Nos rêves d’enfants, nos envies, nos besoins ; nos aspirations ne sont pas à négliger, elles nous nourrissent et nous devons les nourrir en retour.
Ophelie-Personne sur cette Terre n’a le pouvoir de nous retirer notre foi en l’humanité, en un moment ! Armons-nous de courage et de patience, en étant doux avec nous-même et celles et ceux que nous aimons. Nous y arriverons !
Claudia-Croire en ses rêves et donner l’importance au chemin, et à la rencontre
Helene-Quoi qu’il arrive, gardons un rire intérieur, et n’oublions pas l’infini de l’univers (je sais il y a débat) pour pouvoir toujours remettre les choses en perspective. En tant que femme, osons !
Ophelie-J’aimerais qu’on retrouve un peu foi dans les relations aux autres, dans la rencontre. L’art, c’est une manière d’agir, de prendre la parole, d’exister et de faire exister les émotions, c’est une manière de partager avec les autres. Tout être humain peut faire des choses incroyables. Pourquoi ne pas orienter cette force vers quelque chose de créateur et de fédérateur ?
Helene – Pour ce qui est du monde artistique, j’aimerais qu’il s’ouvre d’avantage, qu’il n’y ait plus seulement une reconnaissance des parcours types. Pour pouvoir intégrer le réseau des scènes nationales ou recevoir des subventions par exemple, il faut avoir fait telle école, etc. et c’est dommage. J’aimerais que l’on offre plus d’opportunités aux petites compagnies, que les structures qui diffusent les œuvres artistiques quelles qu’elles soient, soient plus réexamininées du point de vue artistique et moins du point de vue administratif ou commercial comme elles le sont souvent aujourd’hui.
Performance dansée – Création collective de / Clara Delasènne, Annabelle Ricono, Claudia Waldmann, Hélène Poulain, Brune93, Mei, Colline Aubry, Ophélie Jo, Iga Vandenhove
Pièce sonore / Iga Vandenhove
Images / Brigitte Cano
Montage image / Annabelle Ricono
Prise & montage son / Iga Vandenhove
Graphisme / Iga Vandenhove