Parfois on aimerait inventer un mot pour exprimer ce que l’on ressent profondément et puis on s’aperçoit qu’il existe déjà, mais tombé en désuétude pour d’obscures raisons.
Ainsi en est-il du mot âme. J’avoue que j’en avais même oublié le sens premier que m’a rappelé le dictionnaire: l’âme désigne notre principe vital (de anima en latin qui veut dire souffle).
Ensuite, les autres sens possibles se perdent un peu dans des concepts vagues ou contradictoires. Pour la religion, la partie immatérielle de l’être en opposition au corps. Pour la philosophie, le rassemblement hétéroclite des sentiments, de la pensée et de la volonté.
Mais le souffle finalement est-il matériel ou immatériel ? Quand on pose notre conscience dessus, c’est le soufflet de la forge, à première vue, très matériel. Mais ce souffle, d’où vient-il ? Qui l’anime ? Et nous voilà revenus au point de départ : âme, anima. Le mystère reste entier.
Curieusement en grec, le mot se traduit psychí qui, parvenu chez nous, nous a donné psyché, qui désigne les fonctions de l’esprit en opposition au principe vital. Cela se complique…
On s’est même posé la question de savoir si l’animal possédait une âme, quand il suffit de retirer le “L” final pour retomber sur le mot latin anima. C’est dire comme nous sommes les champions de l’égarement…
Est-ce que mes pensées font partie de mon âme ? Oui. Et mes sentiments ? Aussi. Et ma conscience de moi-même dans tout ça ? Elle est le miroir de l’âme.
Je l’aime ce mot âme, car il est protéiforme, semble tout contenir sans rien définir vraiment. On n’en fera jamais le tour, mais on peut s’y baigner, s’y régénérer : sentir combien il est bon d’exister, tout simplement.
Mais pourquoi Socrate a-t-il dit « connais-toi toi-même » plutôt que « connais ton âme » ? Par souci pédagogique, je suppose : c’est en regardant en soi-même, que s’ouvre cette porte secrète dont le souffle est l’indice le plus visible.
Aujourd’hui, on dit plus communément « écoute ton cœur », pour nous ramener à nous-même. Car nous avons négligé notre capacité à ressentir au profit de la pensée froide et analytique. Le sentiment de puissance qu’elle nous procure était bien utile pour entrer dans « l’âge de faire », comme on désigne parfois notre époque.
Et notre corps dans tout ça ? Lui aussi il ressent, ou plutôt nous le ressentons lorsque quelque chose dysfonctionne en lui. Mais est-ce vraiment en lui ? Je veux dire : seulement ?
Avoir opposé le corps à l’âme était finalement jouer un jeu de l’esprit bien dangereux. Car curieusement, lorsque l’on s’intéresse à nouveau à cette partie négligée de nous-même, tout rentre peu à peu dans l’ordre. Se ressourcer au principe vital apaise nos maux, quels qu’ils soient.
Petit-grand, maigre-gros, beau-laid, bien-foutu-mal-foutu, chanceux-malchanceux… Rien n’adviendrait si tu n’étais animé. Et c’est cette animation qui est excitante. « Arrête de t’agiter, cela t’empêche d’assister au miracle du souffle qui entre en toi, puis te quitte, pour y revenir encore et toujours… jusqu’à ton dernier souffle. Connais-tu cette vague à l’âme qui apaise ? »
« Tu peux, à l’heure que tu veux, te retirer en toi-même. Nulle retraite n’est plus tranquille ni moins troublée pour l’homme que celle qu’il trouve en son âme. » – Marc Aurèle