Le décès à l’âge de seulement 65 ans de David Sassoli, Président du Parlement européen – qui m’attriste, au-delà de sa signification humaine toujours douloureuse – doit être l’occasion d’une réflexion approfondie sur l’avenir de l’Europe et, en particulier, dans ce cadre, sur le rôle du Parlement européen, qui est à mon avis fondamental. Le Parlement européen est actuellement composé de représentants directement élus de 441 millions de citoyens européens. En termes de nombre, il s’agit de la deuxième plus grande circonscription transnationale au monde après le Congrès de l’Inde.
Ses limites structurelles (pouvoirs et compétences limités…) et sa dérive socio-politique actuelle résultant des choix de la majorité des élites nationales des différents pays, sont bien connues. Il convient de rappeler que les membres du PE sont élus sur la base de circonscriptions nationales et pas encore sur la base de circonscriptions européennes, ce qui signifie que l’influence et le poids des logiques et des intérêts « nationaux » restent déterminants, même au sein du PE. En outre, les vingt dernières années ont été marquées par une forte tendance conservatrice, national-corporatiste, technocratique, utilitaire de la part de la majorité « politique » des élites « nationales » (organisées au niveau européen et mondial).
Dans ce contexte, un aspect inquiétant pour les générations plus âgées est l’apparente indifférence des nouvelles générations envers les institutions de l’Union européenne. Le projet « Next Generation Europe » de la Commission européenne, tant vanté, ne semble pas susciter une grande émotion collective chez les jeunes.
En général, c’est inquiétant que les intentions des groupes dirigeants européens aillent dans le sens d’un affaiblissement européen de la justice et de la fraternité, des droits humains et sociaux et de la démocratie représentative. La Troïka, le pouvoir parmi les pouvoirs, est toujours en action et la Banque centrale européenne (c’est-à-dire la monnaie et la finance de l’Union) est totalement indépendante juridiquement et politiquement des autres institutions européennes (y compris le Parlement européen). C’est un non-sens que la monnaie et la finance soient libres et souveraines, alors que les citoyens, les peuples, sont sujets et soumis aux intérêts des plus forts.
Un exemple parmi d’autres est l’abandon ou l’avilissement de la nature même des biens communs, de la « res publica », de la communauté de vie en Europe. Citoyens de l’Union, nous n’avons plus rien en commun, à quoi nous appartenons et qui nous appartient, au sens de la responsabilité et des obligations partagées. Peut-être avons-nous l' »hymne à la joie » de Beethoven. Mais il est certain que nous n’avons ni forêts, ni eau, ni air, ni énergie, ni semences, ni sols, ni santé, ni éducation, ni connaissances. Il y a encore quelques années, les différents programmes « Erasmus » faisaient la fierté des jeunes étudiants (et non-étudiants) européens. Aujourd’hui, ils sont considérés comme une bonne opportunité de formation pour accéder à des compétences mieux rémunérées.
Tout a été réduit à une marchandise (confié aux marchands), privatisé et financiarisé (laissé à la merci des appétits financiers).
Pourtant, malgré cela, les citoyens européens doivent être heureux que le Parlement européen existe. Citoyens de l’Union, nous devons nous approprier le Parlement (et non as l’envahir par la violence comme c’est passé en janvier 2021 aux Etats-Unis !) Comment ? En participant activement dans tous les domaines, de l’agriculture aux laboratoires scientifiques, aux différentes actions promues pour les libérer de la domination culturelle et économique privée et en faire des lieux et des moments d’exercice effectif de la souveraineté du peuple. L’Union européenne a inventé la catégorie des SIEG (Services d’intérêt économique général) au lieu des SIG (Services d’intérêt général) pour mieux marchandiser et privatiser la vie. Une aberration !
Les biens communs indispensables à la vie (matérielle et immatérielle, à sauvegarder et non pas à artificialiser) pour tous les êtres humains et le respect des droits de la Nature doivent devenir le champ de la renaissance européenne et humaine. Il n’y a pas de renaissance sans, au lieu de, ou contre les droits et les responsabilités du peuple. L’histoire du Parlement européen reste à écrire. Le Parlement européen en tant que laboratoire de la renaissance de la société mondiale d’égalité, de liberté, de justice et de fraternité est l’une de ces capacités utopiques qui valent la peine d’être mises en œuvre et qui, dans le passé, ont transformé et créé des mondes nouveaux et meilleurs.