Pressenza traduit et publie cette série de 13 articles réalisés par Verdadabierta.com après cinq ans de la signature de l’Accord de Paix en Colombie. Le premier article traduit a été : « L’objectif final est la réconciliation, et elle est obtenue grâce à une vérité incontestable », car – malgré les difficultés – nous pensons et sentons que toutes les tentatives de réconciliation valent la peine d’être racontées.
La matérialisation de l’Accord entre l’État colombien et l’ancienne guérilla des Farc emprunte un chemin sinueux, cahoteux et inégal, qui limite les avancées. Ces difficultés préoccupent les victimes du conflit armé, qui réclament une plus grande rapidité. Le bilan, cinq ans après, est aigre-doux. C’est ce que révèle cette série journalistique de 13 articles :
1– Le silence des fusils a été de courte durée.
2– La Juridiction Spéciale pour la paix (JEP) avance, malgré l’opposition.
3– La Colombie face au miroir de la vérité.
4– L’Unité de Recherche des Personnes portées Disparues (UBPD) n’a pas encore comblé le vide des disparitions.
5– « L’objectif final est la réconciliation, et elle est obtenue grâce à une vérité incontestable ».
6– Le solde en attente pour les femmes et la communauté LGBTI.
7– Le Chapitre Ethnique se limite au papier.
8– La mise en œuvre de l’Accord de Paix s’est avérée fatale pour les dirigeants sociaux.
9– Sécurité des ex-combattants : une dette qui a coûté la vie à 290 personnes.
10– Réintégration de l’ancienne guérilla : Le retour difficile à la vie légale, un bilan doux-amer.
11– Le Programme National Intégral de Substitution des Cultures Illicites (PNIS), un programme mis en œuvre au compte-gouttes.
12– Les Programmes de Développement axés sur le Territoire (PDET) n’ont pas réussi à étancher la soif de bien-être rural.
13– Cinq années de recherche de la paix au milieu des fractures.
Cinq ans d’Accord de paix en Colombie : L’Unité de Recherche des Personnes portées Disparues (UBPD) n’a pas encore comblé le vide des disparitions
Les proches des victimes considèrent que, pour obtenir de meilleurs résultats, l’Unité de recherche doit modifier son organisation interne, les exigences pour effectuer des recherches et des exhumations, et pour agir au-delà des demandes de recherche. Entre-temps, l’entité est aux prises avec deux contraintes: la pandémie de Covid-19 et l’intensification du conflit armé.
L’un des éléments du Système intégral de Vérité, Justice, Réparation et Non-répétition qui a été le plus critiqué pour ses résultats médiocres est l’Unité de Recherche des Disparus UBPD (Unidad de Búsqueda de Personas dadas por Desaparecidas). Les attentes suscitées par sa création contrastent avec la perception critique de son travail actuel.
Divers secteurs espéraient qu’une institution spécialisée dans la recherche des victimes du conflit armé et la récupération des corps, à caractère humanitaire et extrajudiciaire, serait plus efficiente que le bureau du procureur, dont le travail dépend de procédures pénales, mais les résultats contredisent cet objectif.
Pablo Cala, défenseur des droits humains de la Fondation « Jusqu’à ce qu’ils soient trouvés » (Hasta encontrarlos), qui lutte pour retrouver les disparus laissés par la guerre dans le département de Guaviare, a accompagné la création de l’Unité de recherche dès le début. S’exprimant sur le sujet, il rappelle toutes les grandes attentes suscitées, en 2017, par la création de cette entité, mais quatre ans plus tard, il regrette qu’une réponse à la hauteur de ces espoirs n’ait pas été obtenue.
« L’unité, au cours de ces presque quatre années d’existence, a réussi à sensibiliser la société beaucoup plus à la situation des personnes disparues », reconnaît M. Cala. « C’est un travail que les organisations avaient déjà fait, que les proches avaient déjà fait, que certains médias avaient déjà fait d’une certaine manière ; c’est un travail important que l’Unité a fait, mais cela ne devrait pas être ce sur quoi ils se centrent, cela ne devrait pas être leur objectif principal, et c’est là que nous voyons le plus de résultats. »
Selon l’Unité de Recherche des Disparus UBPD, le nombre de personnes disparues en Colombie à la suite du conflit armé s’élève à 98 820, un nombre qui reflète plus de 50 ans de guerre au cours desquels ce crime a été utilisé comme un instrument de guerre. Et quels sont les résultats de l’entité ?
Au 30 septembre de cette année 2021, l’Unité avait reçu 18 344 demandes de recherche, correspondant à 13 442 personnes. Elle rapporte également la récupération de 289 corps et la réalisation de 127 remises dignes des corps à leurs proches dans les départements de Antioquia, Arauca, Bolívar, Bogotá, Caquetá, Chocó, Cundinamarca, Guaviare, Meta, Norte de Santander, Risaralda, Sucre et Tolima.
En outre, elle a retrouvé cinq personnes en vie et a facilité les retrouvailles avec leurs familles à Arauca, Antioquia, Magdalena et Valle del Cauca ; les liens avaient été rompus, dans certains cas, depuis plus de 35 ans.
L’entité indique que 468 personnes sont enregistrées en tant que contributeurs volontaires d’informations pour la recherche de personnes portées disparues, dont 73 l’ont fait à titre collectif et 395 à titre individuel.
Ces résultats ont été obtenus malgré l’absence des voix des acteurs qui ne comparaissent pas devant la JEP ou de ceux qui ont bénéficié de la loi de Justice et Paix, grâce à laquelle les anciens paramilitaires sont jugés. « Comme il n’y a pas d’incitations légales pour ces personnes avec leur contribution à l’Unité de Recherche des Disparus UBPD, il n’y a pas de contributions majeures rapportées par l’entité », a enregistré le bureau du procureur général dans le troisième rapport présenté au Congrès sur l’état d’avancement de la mise en œuvre de l’Accord de Paix, également publié en août de cette année 2021.
Contributions d’informations à l’Unité de Recherche des Disparus UBPD par des acteurs impliqués dans le conflit (avril 2020 – mars 2021)
Contributions volontaires
(N.d.T. Bandas Criminales (BACRIM) est un terme utilisé par le gouvernement colombien pour désigner les gangs criminels venant de la démobilisation des Forces unies d’autodéfense de Colombie AUC.)
Contributions à la JEP
Source : Troisième Rapport au Congrès sur le Progrès de la Mise en Œuvre de l’Accord de Paix par le Bureau du Procureur Général. Diagramme Flourish hiérarchie
La centralisation remise en question
Une des principales critiques adressées à l’Unité de Recherche des Disparus UBPD est que le travail de recherche des équipes existantes est insuffisant pour faire face à l’ampleur du phénomène en Colombie, et qu’il est centralisé dans la ville de Bogota.
« Ces équipes ne recherchent pas directement les corps ou ne les récupèrent pas. Elles recueillent des informations, les transfèrent au niveau central, éduquent et établissent des relations avec les proches, mais ce que nous recherchions, c’était que dans ces territoires, les équipes puissent faire un travail de recherche quotidien sur le terrain », a déclaré M. Cala.
Si elle fonctionnait comme prévu, l’Unité de Recherche des Disparus UBPD disposerait d’au moins 18 équipes médico-légales territoriales avec une coordination générale. Cependant, ce défenseur des droits humains estime qu’il y a entre 40 et 50 personnes qui travaillent à la récupération, et regrette que l’Unité n’ait la capacité que pour avoir jusqu’à cinq équipes travaillant simultanément sur le terrain.
L’autre problème majeur que Cala identifie concerne les conditions d’accès aux sites où des corps pourraient éventuellement être trouvés. L’Unité peut aller sur les sites avec l‘autorisation du possesseur, du détenteur ou du propriétaire et, dans les cas où ce dernier refuse, une action en justice sera engagée pour obtenir l’accès.
Toutefois, il convient de noter que, pour les lieux où il y a des présomptions de tombes, l’entité a créé une règle interne qui comprend la demande d’un certificat de tradition et de liberté de la propriété [N.d.T. : document contenant l’histoire entière de la propriété] ou la demande d’informations auprès de l’Agence nationale des terres au sujet du type de propriété ; un processus qui peut prendre des mois. (Lire aussi : L’Unité de Recherche des Disparus UBPD ‘se met-elle la corde au cou’ pour rechercher les disparus ?)
Face à la volonté d’un propriétaire, d’un détenteur ou d’un occupant d’un terrain qui dit « Oui, vous pouvez entrer pour effectuer la récupération » puis prend peur quand on commence à placer tous les obstacles que représentent les exigences et se dit « ils vont finir par me prendre ma petite ferme, donc je préfère qu’ils ne fassent rien », « qu’allez-vous faire ? » demande ce défenseur des droits humains.
D’autre part, il y a la participation. Cette composante s’est avérée être une priorité pour l’Unité de Recherche des Disparus UBPD et selon le rapport de cette année, « à cette fin, depuis le début des opérations de l’Unité de recherche des personnes disparues jusqu’au premier semestre 2021, des orientations et des conseils ont été fournis à 4 492 personnes qui ont renforcé les conditions de leur participation sur une base individuelle ».
Plusieurs victimes considèrent que les appels à leur participation par l’Unité de Recherche des Disparus UBPD ont été faits en termes de bonne volonté, mais ne sont finalement pas bien dirigés. Elles ont le sentiment que l’information ne circule que de manière unidirectionnelle, qu’elles ne sont pas autorisées à suivre les décisions, et que la participation finit par être subordonnée à la volonté des responsables de l’entité.
L’analyse du Bureau du Procureur général salue les efforts de la participation, mais « réitère l’importance pour l’entité de définir un mécanisme qui facilite la transmission d’informations aux familles sur les personnes portées disparues au fur et à mesure que le processus de recherche avance. »
Sebastián Velásquez, représentant légal et porte-parole de la Fédération colombienne des victimes des FARC, FEVCOL (Federación Colombiana de víctimas de las FARC), soutient que cette organisation a donné à l’Unité de Recherche des Disparus UBPD en décembre 2020 des informations sur l’existence de 12 tombes dans lesquelles se trouveraient des victimes de l’ex-guérilla avec plus de 49 corps, mais qu’il n’y a eu aucun progrès. « Où cherchent-ils les victimes des FARC ? Pour eux ce n’est pas une priorité », souligne-t-il.
Pour sa part, María José Rodríguez, fille du citoyen uruguayen José Washington Rodríguez Rocca, espérait participer davantage à la recherche de son père. En juillet 2019, elle a commencé à fournir des informations à l’Unité de Recherche des Disparus UBPD au sujet du cas, mais ensuite elle a eu le sentiment que sa relation avec l’unité s’est arrêtée sans raison importante. « Cela m’a beaucoup découragée personnellement et petit à petit, avec insistance, nous avons réussi à reprendre le dialogue », dit-elle.
Rodríguez Rocca était un ouvrier à la fabrique de pneus uruguayenne S.A. FUNSA, et faisait partie du Mouvement de libération national des Tupamaros. Ne voyant aucune garantie pour sa vie et face à l’attente d’un coup d’État, il a quitté le pays en 1973 et, selon les informations de sa fille, après avoir traversé plusieurs pays, il est arrivé en Colombie en 1976, où il a rejoint le mouvement de guérilla M-19. Il semble qu’en avril 1982 il est mort lors d’un affrontement avec l’armée dans le département de Caquetá.
L’Unité de Recherche des Disparus UBPD avait promis de mener des actions de prospection fin février ou début mars 2021, mais María José Rodríguez se plaint du fait qu’ils n’ont pas respecté l’accord, et qu’après beaucoup d’insistance, la mission a eu lieu les 19, 20 et 21 juillet. Elle a pu y assister grâce au soutien du Comité International de la Croix Rouge CICR, qui lui a accordé une aide financière pour venir dans le pays : « je ne vis pas en Colombie, donc la distance donne lieu à d’autres sentiments et d’autres moments qui ne sont pas de bons alliés lors de ces recherches. »
À cette occasion, ils n’ont pas trouvé la dépouille de son père, mais ils ont trouvé la tombe dans laquelle on pense qu’il a été enterré. Elle souligne l’excellent traitement qu’elle a reçu durant la prospection, mais après cela, « le silence est revenu. C’était juillet 2021 et à ce jour, nous n’avons pas eu de réunion, pas même pour résoudre ce qui s’est passé en juillet et pour déterminer les étapes suivantes. »
Recherche d’information
Photo : Carlos Mayorga Alejo
Les victimes et les organisations de la société civile considèrent que l’Unité de Recherche des Disparus UBPD n’a pas réellement utilisé les mécanismes juridiques d’accès aux informations réservées qui lui ont été accordés par le décret-loi 589 de 2017 qui a organisé la structure de l’entité.
Ce décret indique clairement que les réserves concernant l’accès à l’information ne sont pas opposables dans le cas de violations des droits humains ou d’infractions au droit international humanitaire (DIH), et que l’Unité de Recherche des Disparus UBPD est libre de demander des informations publiques aux entités de l’État sans que la réservation d’information soit un obstacle.
Le bureau du procureur général, dans son analyse de mise en œuvre de l’Accord de Paix, indique que l’Unité de Recherche des Disparus UBPD a conclu sept accords de volonté d’échange d’informations avec diverses institutions de l’État. Toutefois, il a démontré que le flux d’information n’a pas été celui escompté. Le cas des accords inter-administratifs signés depuis 2019 entre l’Unité et le Bureau du Procureur en est un exemple.
« Bien que le Bureau du Procureur général ait répondu à la plupart des demandes d’informations de base formulées par l’Unité de Recherche des Disparus UBPD, » lit-on dans le document, – « concernant le numéro du dossier, le bureau ou l’unité dans laquelle se trouve un cas, très peu de réponses ont été données par le Bureau du Procureur général concernant l’accès aux dossiers actifs liés aux crimes de disparition forcée, d’enlèvement ou de recrutement illicite. En particulier, sur 308 demandes d’accès aux dossiers, à la date de clôture du présent rapport, l’Unité de Recherche des Disparus UBPD n’a pu accéder qu’à 11 des dossiers demandés. »
Les victimes espéraient que l’Unité accéderait rapidement aux informations détenues par les forces de sécurité, une étape fondamentale – selon elles – pour retrouver, avec l’aide d’agents de l’État, la trace des personnes disparues, principalement dans les décennies des années 70 à 90.
Ces informations seraient utiles, par exemple, pour établir où se trouve le corps de Martha Gisela Restrepo Valencia, une jeune femme de Cali, qui a rejoint les rangs du M-19 et qui est morte, à l’âge de 19 ans, vraisemblablement lors d’une opération des forces militaires dans le département de Chocó le 25 avril 1981.
La reconstruction de cette attaque, réalisée par la famille de Martha Gisela avec le soutien de la fondation « Jusqu’à ce qu’ils soient retrouvés » (hasta Encontrarlos), indique qu’au moins 40 jeunes membres de ce groupe de guérilla se déplaçaient entre les municipalités de Lloró et Bagadó, et qu’à un moment donné, à Alto Andágueda, ils ont été interceptés par les troupes de l’armée et anéantis.
Rodrigo Restrepo, le frère de Martha Gisela, parle depuis l’extérieur de la Colombie de la façon dont, en 2015, il est revenu sur l’affaire de la disparition forcée de sa sœur. Comme Martha et un autre de ses frères, il a milité dans les rangs du M-19, mais il est le seul à avoir réussi à rester en vie lorsqu’il a émigré en septembre 1982.
Lorsque le 17 octobre 2015, le gouvernement national et les FARC ont annoncé la création de l’Unité de Recherche des Disparus UBPD, la famille Restrepo Valencia a vu dans cette entité une opportunité inestimable : « Avant cela, il était très difficile d’imaginer que l’on puisse rechercher un combattant disparu. Lorsque cette annonce a été faite, c’était pour nous l’instrument parfait pour pouvoir effectuer cette recherche et cela a ouvert tous les espoirs ».
En décembre 2018, cette famille a commencé à partager avec l’Unité des informations qu’elle avait recueillies de son propre chef. Début 2019, avec Hasta Encontrarlos, ils ont organisé une visite à l’emplacement présumé de la dépouille de Martha Gisela pour retrouver des informations avec certains délégués du Conseil Communautaire principal de l’Organisation Paysanne et Populaire d’Alto Atrato COCOMOPOCA (Consejo Comunitario Mayor de la Organización Campesina y Popular del Alto Atrato), car la zone relève de leur autorité ancestrale.
À l’époque, l’Unité de Recherche des Disparus UBPD a décliné l’invitation, comme le rappelle cette famille, car l’organisation n’était pas encore prête pour ce genre de travail. De retour à Bogotá, la famille a partagé les informations avec l’Unité et sur cette base, en mars 2020, l’Unité a réalisé une prospection dans une zone de près de deux hectares avec des anthropologues, des topographes, et des photographes.
« Dans ce genre de situation, la tension est grande, la sensibilité de chacun est exacerbée, celle des proches, la nôtre, la sensibilité est à fleur de peau », se souvient Rodrigo, et il souligne qu’à cette occasion il y a eu un désaccord avec l’Unité de Recherche des Disparus UBPD parce qu’ils ne leur ont pas permis d’enregistrer la procédure, « Nous avons été témoins de l’effort qui a été fourni, mais rien n’a été trouvé ».
À ce sujet, M. Cala souligne qu’il s’agissait de la première recherche directe effectuée par l’Unité de recherche sans être associée à une autre entité : « L’Unité a effectué d’autres recherches depuis le mois de mars jusqu’à aujourd’hui, mais pas encore suffisantes pour les réponses attendues, ou pour l’ampleur de la situation des personnes disparues dans le pays. »
L’univers de personnes disparues
La Convention interaméricaine sur la disparition forcée des personnes a défini la disparition forcée comme étant « la privation de liberté d’une ou plusieurs personnes, sous quelque forme que ce soit, commise par des agents de l’État ou par des personnes ou des groupes de personnes agissant avec l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’État ». Dans le cas de la Colombie, la disparition forcée n’a été criminalisée que par la loi 589 de 2000.
Malgré cela, il n’y a pas de cohérence dans les nombres, une situation que Cala souligne : « Dans le pays, il y a maintenant un problème : il y a une institution qui dit qu’il y a 24 000 disparitions forcées, une autre dit qu’il y en a 46 000, une autre qu’il y en a 60 000, d’autres qu’il y en a 89 000 et une autre dit qu’il y en a 120 000 ou plus. Et cela fait partie de la dette résultant de la banalisation de la responsabilité de l’État colombien. »
Une observation que le Comité des Nations Unies Contre les Disparitions Forcées avait déjà faite dans son dernier rapport de recommandations pour la Colombie, publié en mai 2021, est qu’il rappelle à l’État colombien que son approche de ce crime contre l’humanité n’est pas pleinement conforme aux normes internationales.
En septembre 2021, l’Unité de Recherche des Disparus UBPD a estimé le nombre total de victimes à 98 820 personnes, un nombre résultant du recoupement des informations des bases de données du Système Intégral pour la Paix avec le Registre des Demandes de Recherches de l’Unité. (Lire davantage dans : « Les disparus ne font pas seulement partie des familles, les disparus font partie de cette société » : Luz Marina Monzón)
Participation d’ex-guérilleros
Photo : UBPD
Les anciens combattants des FARC participent de plusieurs manières à la recherche des disparus. D’une part, parce qu’ils peuvent avoir des informations sur des personnes qui sont mortes sous leur responsabilité, après avoir été recrutées, privées de liberté ou exécutées.
D’autre part, parce qu’ils ont connaissance de zones avec des corps de personnes qui n’étaient pas nécessairement sous leur responsabilité mais qui se trouvaient dans des zones qu’ils contrôlaient. Également, parce qu’il y a des recherches de miliciens, d’ex-miliciens ou des parents de guérilleros qui ont été exécutés et ont disparu aux mains de l’État colombien ou des paramilitaires.
L’un des rôles tenus par les signataires de l’Accord, comme élément de leur processus de réincorporation, est la collecte d’informations sur les personnes disparues en tant qu’une partie de la composante des ex-FARC dans la Commission de Recherche de Personnes Disparues qui, à travers cinq zones de travail (Nord-Est, Est, Magdalena Medio, Sud et Ouest), cherche à couvrir le territoire national.
Dans un premier temps, 72 ex-guérilleros signataires de l’Accord de Paix ont entamé un processus de formation avec le Comité International de la Croix-Rouge (CICR) pour commencer ce travail de documentation. Actuellement, la Commission compte 101 membres, dont d’anciens combattants de l’ex-FARC et des habitants de certaines régions qui se sont engagés dans ce processus.
Velásquez, de FEVCOL, critique vivement cette Commission, car il considère que les familles qui ont perdu des êtres chers aux mains des FARC ne collaboreront pas avec elle, et que sa gestion est douteuse parce que « c’est comme s’accuser soi-même de crimes systématiques tels que les enlèvements, les disparitions et la mort de beaucoup de personnes. »
Jusqu’en septembre 2021, la Commission a documenté 586 cas possibles de personnes disparues. Ces informations ont été remises à l’Unité afin de pouvoir faire suite à ces dossiers. À cet égard, John León, coordinateur de la Commission, estime que la coordination avec l’Unité de Recherche des Disparus UBPD a été positive, même s’ils ne disposent pas des ressources nécessaires pour mener à bien ces tâches et ont utilisé leurs systèmes de protection pour se déplacer dans le pays. (Voir l’infographie)
Il faut dire qu’il y a eu une série de retards qui, dans une certaine mesure, suscitent de l’inquiétude et mettent en alerte surtout les victimes et les proches qui recherchent des personnes disparues, et cela nous inclut, nous les anciens combattants des FARC qui recherchons nos proches disparus dans le cadre du conflit, déclare León.
Restrictions sur le terrain
L’expansion de Covid-19 a ralenti les actions de plusieurs institutions, mais aucune n’a été autant affectée que l’Unité de Recherche des Disparus UBPD avec son travail sur le terrain. Les restrictions visant à prévenir la contagion ont contraint l’Unité à donner la priorité au travail de vérification des informations et au traitement des demandes de recherche qui, à la mi-juin de cette année 2021, dépassaient 16 000.
Pendant cette période, elle a émis des recommandations pour la protection et la préservation des corps de personnes qui pourraient être des personnes disparues, et qui se trouvent dans différents cimetières du pays ; ces recommandations sont renforcées par des mesures de précaution prises en coordination avec la Juridiction Spéciale pour la Paix JEP (Juridicción Especial para la Paz) pour la protection des corps.
D’autre part, les niveaux de violence et le contrôle territorial des acteurs armés illégaux dans les différentes régions où l’Unité de Recherche doit effectuer son travail humanitaire, ainsi que l’établissement de la confiance avec les communautés, ont été parmi les obstacles les plus préoccupants.
Les signataires de l’Accord qui ont effectué des travaux de collecte dans des départements tels que Meta, Arauca, Nariño, Cauca ou Antioquia ont déclaré que « la présence liée à la recherche de personnes disparues n’est pas très bien accueillie ».
La composante de la Commission de Recherche des Personnes Disparues qui provient des anciennes FARC a dénoncé le fait que ses membres ont fait l’objet de persécutions, de menaces, de harcèlements et même d’attaques, comme cela a été le cas lors de la fusillade qu’a reçu la structure de protection de Jaime Alberto Parra Rodriguez, aussi connu sous le nom de ‘Mauricio Jaramillo’, chef national de la Commission de recherche des FARC, le 19 août 2021 à Popayán, dans le Cauca.
Le Bureau du Procureur Général a reconnu l’éventail des risques et a ajouté un autre risque qui complique ces tâches : « La présence de mines antipersonnel et d’engins explosifs dans les territoires, ce qui implique des risques pour les fonctionnaires de l’entité qui se déplacent pour réaliser des actions de localisation, de prospection ou de récupération de corps ». Il est important que l’Unité de Recherche des Disparus UBPD collabore avec le Haut-Commissariat pour la Paix OACP (Oficina del Alto Comisionado para la Paz) en tant que coordinateur de l’Action Intégrale contre les Mines, afin de garantir un niveau minimum de protection lors de l’exécution de travaux sur le terrain.
Actions pour améliorer la recherche
« Où est la stratégie de recherche ? », demande Diana Arango, directrice d’Equitas, une organisation qui se consacre à la localisation de personnes disparues en appliquant différents domaines de connaissances.
« Je crois que l’un des problèmes principaux de l’Unité est qu’il n’y a pas de stratégie de recherche claire », et c’est pourquoi elle considère qu’il n’est pas facile de mettre en œuvre la recherche sur le territoire, comment déployer les équipes de l’institution et prioriser les départements du pays qui ont un nombre élevé de cas de disparitions.
Selon l’Unité, il existe un Plan National de Recherche PNB (Plan Nacional de Búsqueda) et 22 plans régionaux de recherche qui sont considérés comme des outils de planification participative permettant la collecte d’informations, la localisation, la prospection, la récupération et la remise digne dans une région géographique délimitée et différenciée.
Concernant le Plan National de Recherche PNB et ses sections régionales, l’un des avertissements a été émis fin 2020 par l’Institut Kroc de l’Université de Notre Dame, dans le cadre de son suivi de la mise en œuvre de l’Accord de Paix. Selon lui, l’Unité de Recherche n’a pas défini de calendrier de mise en œuvre.
Cette lacune a commencé à être comblée en juin 2021, avec 10 réunions avec des victimes et des organisations de la société civile et 16 réunions avec des entités de l’État au cours desquelles l’Unité a exposé les objectifs, les responsabilités et le calendrier du PNB. À court terme, 1754 personnes portées disparues dans 20 régions du pays seront recherchées.
Plans régionaux de recherche de l’Unité de Recherche des Disparus UBPD
Source : Rapport de l’Unité de Recherche des Disparus UBPD au 30 juin 2021. Un diagramme Flourish
Il est clair que la recherche n’est pas simple, mais « ce n’est pas une tâche qui peut être abordée cas par cas, parce qu’alors nous n’allons jamais finir », prévient la directrice d’Equitas. Pour Diana Arango, se concentrer sur le nombre total de victimes de manière prioritaire est l’un des points clés pour obtenir de meilleurs résultats, mais elle s’inquiète du fait qu’il y a quelque mois seulement, le discours de la directrice de l’Unité de Recherche des Disparus UBPD, Luz Marina Monzón, faisait allusion à des recherches massives.
« Les plans régionaux ne devraient pas se fonder seulement sur les demandes des victimes, mais l’Unité, pour ainsi dire, devrait enquêter de sa propre initiative ; c’est à cela que servent l’analyse et le recoupement de différentes bases de données, qui lui permettent d’établir par exemple, qu’à Antioquia, il y a 36 000 personnes qui sont toujours portées disparues à ce jour », dit Diana Arango.
Pendant que le travail de l’Unité prend de l’ampleur, les victimes et leurs organisations continueront de plaider pour que l’Unité de Recherche des Disparus UBPD obtienne de meilleurs résultats et pour que leurs proches soient retrouvés afin de pouvoir donner de la dignité à leur mémoire et honorer leur vie.
VerdadAbierta.com a tenté d’avoir un entretien avec Luz Marina Monzón, directrice de l’Unité de Recherche des Disparus UBPD, mais au moment de mettre sous presse, l’institution n’avait pas fixé de date pour une rencontre.
Sources
Article « L’Unité de recherche ne comble toujours pas le déficit de disparitions » en espagnol et en anglais:
Présentation complète avec les 13 articles :
https://tortuoso-camino-implementacion.verdadabierta.com
Traduit de l’anglais par Evelyn Tischer, révision Ginette Baudelet