Mardi 08 Mars 2022
Debout ou assis, ils attendent, sans vraiment savoir quoi. Ils sont encore nombreux à patienter à l’extérieur pour entrer dans la salle trop petite. Un brouhaha de langues étrangères se mêlent aux indications du personnel en sous-effectif. « Quel est votre numéro ? Attendez ici ». À travers les va-et-vient de la croix rouge, qui tente de se frayer un passage parmi les réfugiés, se distingue des visages perdus, silencieux, sous leur masque. À leurs pieds, des valises et grands sacs de courses remplis de vêtements. Leur vie d’avant, maintenant contenue dans des sacs.
Ils sont seuls, d’autres en famille ou parfois, juste mère et enfant. Une dame âgée donne de l’eau à son chien, qui a lui aussi, fait le voyage.
Une odeur de café chaud règne dans un coin de la pièce improvisé en coin cuisine. De gros cartons jonchent le sol. Les bénévoles se hâtent d’en sortir les plats cuisinés grâce aux nombreux dons. « Tout s’est fait dans la précipitation. C’est désorganisé. » affirme Loïc, débordé.
Dans ce centre ouvert depuis vendredi, 600 personnes sont accueillies et redirigées chaque jour dans des hôtels. Près des machines à café, des dizaines d’enfants dessinent sur de petites tables, par terre. Ils sourient.
Dans le couloir, une jeune femme avec le gilet bleu du Samu social tente de calmer l’impatience de deux réfugiés d’origine Africaine. « Le bus va arriver. Je vous promets que vous pourrez partir. Il faut attendre votre tour ». Même si la plupart sont Ukrainiens, beaucoup viennent d’Afrique et du Moyen-Orient. Ils tiennent des tickets dans leur main sur lequel est inscrit un numéro. La couleur bleu est dédiée au logement, le rose pour les titres de séjour.
Dans ce chahut, une petite dame d’une quarantaine d’années attend seule, adossée au mur, le regard vide. Malgré la chaleur qui se dégage de la salle, elle a gardé son long manteau kaki sur le dos. Ses lunettes en demi-lune cachent de petits yeux vert fragiles. Ses cheveux tirés en queue de cheval révèlent un visage marqué par la fatigue. Olga attend depuis deux heures un bus. Pour l’emmener où ? Elle n‘en sait rien. Son numéro est le 111 mais elle ne sait pas vraiment ce que cela signifie. Elle a quitté Kiev. Depuis quand ? Elle ne s’en souvient plus. « J’ai pris un train. N’importe lequel. Je crois qu’il allait vers Prague. Maintenant je suis là ». Le vacarme empêche d’entendre clairement sa voix, déjà faible et étouffée par son masque. Avec un Anglais approximatif, elle raconte que son père est resté à la capitale. « Il a 73 ans. Il est malade ». Elle le croit en sécurité, l’espère encore. L’attaque Russe de son pays ? Impensable. Elle ne la comprend toujours pas et admet qu’elle ne le comprendra sans doute jamais. Elle cherche dans son sac, rempli de papiers, son téléphone. Sur l’écran apparaît une photo de son chat, resté à Kiev chez ses voisins. Court silence lorsque je lui demande son prénom. En chuchotant, presque honteuse, elle lâche du bout des lèvres en me fixant : « Adolf ».
Le reste de la famille d’Olga attend assis sur les nombreuses lignées de chaises qui remplissent cette seconde partie de la salle. Tous immobiles, ils semblent n’espérer plus qu’une seule chose : pouvoir se reconstruire en paix.
Centre d’accueil situé au 39 rue des Cheminots, Paris 18